IBOGAÏNE : QUE SAIT-ON DE CETTE SUBSTANCE PSYCHOSTIMULANTE ET HALLUCINOGÈNE PRÉSENTE DANS LA RACINE DE L’ARBRE IBOGA ?


Être guéri de son addiction en une seule prise de médicaments : fantasme ou réalité ? L’écorce d’une racine d’un végétal originaire d’Afrique, l’iboga, semble promettre ce miracle.

Les chercheurs en Occident ont commencé à comprendre ses modes d’action sur le cerveau : c’est un psychostimulant et un hallucinogène mais ceux qui en ont consommé et ceux qui l’étudient l’affirment, ce n’est pas une drogue récréative. Il guérirait des dépendances induites par des drogues dures, l’alcool et le tabac. Reste à savoir si les effets sont permanents ou non. Car il y a encore trop peu d’études et d’essais cliniques rigoureux pour effacer l’image sulfureuse attachée à l’iboga qui appartient à une famille de substances psychédéliques dites hallucinogènes, mises à l’index dans le monde depuis les années 1970.

Qu’est-ce que l’iboga ?

L’iboga (Tabernanthe iboga), est un arbuste des forêts d’Afrique centrale. Un usage rituel traditionnel, le Bwiti, pratiqué par les ethnies pygmées, fangs (bantoues), l’associe plus particulièrement au Gabon.

Feuillages et fruits de l’Iboga ou Tabernanthe iboga, un petit arbuste qui peut atteindre 6 mètres de haut. La racine de l’Iboga contient une douzaine d’alcaloïdes, dont l’ibogaïne. Celle-ci est une substance proche de celles qui sont présentes dans différentes espèces de champignons hallucinogènes et dans l’Ayahuasca. © Daniel Heuclin / Biosphoto/ AFP

Pendant cette cérémonie initiatique ou à visée thérapeutique, l’écorce des racines de l’Iboga, appelée également « bois sacrée, » est consommée pulvérisée en poudre, seule ou mélangée à de l’eau, ou encore sous forme de boulettes mêlée à d’autres parties de la plante, de miel et d’autres végétaux sacrés. S’ensuivent pour les initiés des nausées et vomissements, un état comateux, et une asthénie musculaire pendant lesquelles les hallucinations prennent forme.

Le Gabon accueille de plus en plus d’Occidentaux venus « s’initier » au Bwiti. Beaucoup d’entre eux sont intéressés par les propriétés anti-addictives de la plante, réputée sevrer de toutes dépendances aux drogues dures. Le rituel et son ingrédient principal se sont exporté à leur tour à l’étranger. Et quelquefois aux risques et périls des candidats.

Quels sont les effets de l’iboga sur l’organisme ?

Les mécanismes pharmacocinétiques sont mal connus. Les études et essais cliniques ne sont pas nombreux et pour leur grande majorité, les protocoles d’expérimentation souffrent d’un manque de rigueur scientifique. C’est le bémol constamment émis par ceux qui analysent les études passées sur l’iboga.

La plante concentre la plus grande partie de son alcaloïde le plus puissant, l’ibogaïne, dans l’écorce de ses racines. C’est la plus citée des substances extraites du végétal évoquée dans les essais cliniques. L’ibogaïne est absorbée rapidement dans le sang et métabolisée en noribogaïne. Elle s’accumule également dans les tissus du cœur et dans les graisses. Cette présence dans les tissus adipeux pourrait expliquer ses effets différés sur l’organisme.

Le constat jusqu’ici (bien qu’encore imparfaitement démontré scientifiquement) est qu’ibogaïne et noribogaïne jouent probablement un rôle au niveau de multiples récepteurs et de protéines de transport dans les mécanismes de la dépendance. L’hypothèse porte plus particulièrement sur les récepteurs opioïdes mu (μ) présents au niveau des circuits neuronaux de la récompense et de l’aversion. Elles ont des propriétés anti-addictives qui bloquent l’envie de consommer toute substance addictogène : héroïne, cocaïne, médicaments opioïdes, tabac ou alcool. Le sevrage ne s’accompagnerait pas d’inconfort physique et psychique, et dans les semaines et mois qui suivent l’arrêt de la consommation, il n’y aurait pas non plus de phénomène de « craving ». Les symptômes de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété ont également été atténués chez des vétérans de guerre américains.

Plusieurs dizaines de morts ont été recensés entre 1990 et 2020, principalement chez les patients de tradithérapeutes qui opéraient clandestinement en Occident, ou bien dans des cliniques privées qui ne bénéficiaient pas d’un protocole de suivi solide et de personnels médicaux qualifiés. Les causes des décès étaient liés à un surdosage, ou la toxicité d’extraits végétaux qui n’était pas du Tabernanthe iboga, une maladie cardiaque chez le patient, ou encore son état d’intoxication à l’alcool ou à une drogue au moment de l’ingestion d’Iboga.

Que ressent-on quand on prend de l’ibogaïne ?

Les auteurs d’une revue de la littérature scientifique se basaient en juillet 2022 sur une vingtaine d’études pour décrire une chronologie des symptômes se manifestant après l’ingestion d’ibogaïne. Trois phases se dessinent :

  • Une phase 1 décrite comme onirique, de « rêve éveillé », durant 4 à 8 heures. Le sujet fait l’expérience de perceptions sensorielles nouvelles, d’hallucinations visuelles et voit défiler des épisodes de sa vie.
  • Une phase 2 qualifiée de « évaluative, émotionnellement neutre et réflexive« . Elle dure entre 8 et 20 heures.
  • Une phase 3, décrite comme « une phase résiduelle comprenant une conscience accrue, une stimulation légère et, éventuellement, une perturbation des habitudes de sommeil ». La phase 2 peut durer jusqu’à 3 jours après l’ingestion.

Combien de patients dans le monde ont-ils été traités avec de l’iboga ? L’ancienne chercheuse en neurologie, Deborah Mash, estime ce nombre à environ 10.000 personnes, en incluant dans le compte, les clients de cliniques privées officiant dans des pays où l’usage de la racine est admis (Pays-Bas, Portugal, Nouvelle-Zélande, Mexique, Bahamas, Brésil). La plante est officiellement un stupéfiant aux États-Unis, en Belgique, en Pologne, au Danemark, en Suisse et en France et « sans intérêt thérapeutique ».