CAMEROUN : ÉLEVEURS SEMI-NOMADES ET AGRICULTEURS APPRENNENT À VIVRE ENSEMBLE


Les éleveurs peuls mbororo fuyant les exactions de Boko Haram et l’insécurité dans la région anglophone du Nord-Ouest ont installé des campements dans des villages d’agriculteurs au centre du Cameroun, faisant naitre des conflits aujourd’hui réglés grâce à diverses médiations.

Ces deux dernières années, « des plaintes relatives aux conflits agro-pastoraux sont de moins en moins nombreuses », affirme Emmanuel Fred Dongo, sous-préfet de Bokito, une localité située à quelque 150 km de la capitale camerounaise, Yaoundé.

L’accalmie contraste avec le volume de conflits agro-pastoraux enregistré dès l’installation en 2013 d’un premier campement d’éleveurs peuls mbororo à Botombo, l’un des villages de l’arrondissement de Bokito.

« Nous n’étions pas habitués au gros bétail, nous ignorions tout de la cohabitation avec eux, il fallait apprendre à les gérer », reconnait Michel Bebine Amata, agriculteur, chef du village Botombo où l’on compte plus de 2000 têtes de bœufs.

La pacification des rapports a finalement été rendue possible grâce à un système de médiation accepté par les deux parties dont Souley Lakoudi, un peul mbororo, est l’un des acteurs.

Médiateur de sa communauté lors des conflits agro-pastoraux, il est parvenu depuis lors au terme des négociations à compenser financièrement les agriculteurs dont les cultures ont été détruites par les bovins.

« L’an dernier les bœufs ont détruit le champ d’ignames d’un agriculteur, celui-ci a demandé 12 millions de francs CFA plus de $ 22.000 comme frais de dédommagement, je lui ai proposé de prendre $928 francs et il a accepté »,explique-t-il, tenant en main un bordereau récapitulatif des paiements effectués en 2020.

C’est ainsi que plus de 2.500.000 francs CFA ont été versés aux agriculteurs des villages Botombo, Yanben et environnants qui ont perdu des champs de tomates, du maïs, de manioc entre autres.


Michel Bebine Amata, chef du village Botombo, le 12 janvier 2021.

Médiation à la chefferie

Ce mécanisme de médiation a cependant mis du temps avant d’être admis par les agriculteurs. « Ils n’étaient pas aussi bien organisés comme les éleveurs, les agriculteurs voulaient tout de suite passer aux représailles », confie à VOA Afrique Michel Bebine Amata.

Mais, ajoute-t-il, « la première des choses a toujours été de ramener l’atmosphère paisible, de convoquer le chef des éleveurs mbororo afin qu’il me situe sur le troupeau qui a fait les gaffes ».

Pour faciliter la médiation, il a été convenu que, « le chef de campement d’éleveurs mbororo devait noter au quotidien toutes les informations sur la circulation des bovins », soutient Aladji Souley, l’un des chefs communautaires.

A cela s’est ajoutée une « commission locale de médiation composée de trois personnes qui est chargée d’apprécier les dégâts causés par les bovins et d’assister l’agriculteur qui demande réparation lors des négociations à la chefferie du village Botombo ».


Des jeunes bovins broutent encore l’herbe autour du campement des éleveurs à Botombo, le 12 janvier 2021.

Médiation des autorités administratives

« Chaque jeudi, tous les chefs de village de l’arrondissement et les chefs des campements des éleveurs assistent à une réunion de règlements des conflits agro-pastoraux à la sous-préfecture et on parvient toujours à s’entendre pour qu’on reste en paix », soutient Abdoulaye Wadjiri.

Désormais, une campagne de transhumance du bétail dans le département du Mbam et Inoubou est encadrée à partir du mois janvier jusqu’au mois de mai par les autorités administratives. Cette année, son coup d’envoi a été donné à Bokito le 13 janvier.

« Chaque année les défis sont nouveaux, nous souhaitons arriver à une situation de non conflit entre les deux parties, où les bœufs de l’éleveur déposeraient de l’engrais naturelle dans les champs des agriculteurs », confie à VOA Afrique Fred Emmanuel Dongo, sous-préfet de Bokito.

Lors de la dernière campagne de vaccination, plus de 12.000 têtes de bœufs ont été recensées dans l’arrondissement de Bokito selon Abdoulaye Wadjiri, l’un des responsables départemental à Bafia de Mboscuda, l’association pour le développement social et culturel des mbororo.

Le vœu de l’association, explique Musa Ndamba, vice-président national de Mboscuda, serait que ses membres obtiennent des titres fonciers comme tous les autres Camerounais dans l’arrondissement de Bokito pour apaiser les conflits.

Mais selon les éleveurs, toutes les tentatives d’y parvenir ont jusqu’ici échoué,« nous n’avons pas la culture de vendre les terres », répond d’un ton sec un chef de village.


 

 

Par Emmanuel Jules Ntap — Src VOA Afrique