POURQUOI L’ÈRE DES PANDÉMIES NE FAIT-ELLE QUE COMMENCER ?


L’actuelle pandémie est la sixième qui frappe l’humanité depuis la grippe espagnole de 1918. Mais la fréquence et la gravité de ces épidémies mondiales pourraient bien s’accélérer dans les années à venir, en raison de notre mode de vie et des incroyables capacités adaptatives des virus. Plusieurs experts tirent la sonnette d’alarme.

« Des pandémies futures vont apparaître plus souvent, se propageront plus rapidement, causeront plus de dommages à l’économie mondiale et tueront plus de personnes que la Covid-19 si rien n’est fait ». Tel est le cri d’alarme de l’Ipbes (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les écosystèmes), le « Giec » de la biodiversité, dans son dernier rapport de décembre 2020.

« Il n’y a pas de grand mystère sur la cause de la pandémie de Covid-19, ou de toute autre pandémie moderne, tranche Peter Daszak, président de EcoHealth Alliance et de l’atelier d’Ipbes. Les changements dans la manière dont nous utilisons les terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, ainsi que le commerce, la production et la consommation non durables perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune sauvage, le bétail, les agents pathogènes et les êtres humains. C’est un chemin qui conduit droit aux pandémies ».


827.000 virus ont la capacité d’infecter les humains

« La plupart des nouvelles pandémies virales naissent de zoonoses, c’est-à-dire de la transmission d’agents pathogènes des animaux aux humains, rappelle Emmanuel Drouet, chercheur à l’Institut de biologie structurale de Grenoble. La tuberculose [causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis] vient des bovins et s’est propagée à l’humain lorsqu’on a commencé à élever du bétail au Néolithique ». On estime à 1,7 million le nombre de virus non découverts actuellement présents dans les mammifères et les oiseaux, dont 827.000 pourraient avoir la capacité d’infecter les êtres humains, selon l’Ipbes.


L’élevage industriel, un réservoir à zoonoses. © chayakorn, Adobe Stock

Heureusement, tous n’y arriveront pas. « Pour provoquer une pandémie, le virus doit franchir deux barrières d’espèces : il doit acquérir la capacité à infecter une cellule humaine, puis ensuite à s’y répliquer efficacement », explique Emmanuel Drouet. Ce qui n’est pas évident, car la « machinerie cellulaire » chez l’Homme et l’animal est bien différente. C’est ce qui se passe actuellement pour les virus aviaires : responsables de milliers de morts, ils peuvent infecter l’Homme mais n’ont pas encore franchi la deuxième barrière où la transmission humaine est possible. Mais, pour Emmanuel Drouet, ce n’est qu’une question de temps. « Le HIV provient d’un virus de chimpanzé qui a mis des centaines d’années à franchir la barrière. Le virus a fait des dizaines de tentatives avant de parvenir à muter suffisamment mais il y est parvenu avec succès. Le Sida a bien donné une pandémie mondiale ».


Portrait-robot du virus pandémique

En 2013, Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur, dressait le portrait-robot du prochain pathogène émergent, « capable de créer la prochaine grande épidémie au XXIe siècle » : un virus à ARN, « doué d’une grande plasticité génétique et contagieux à transmission respiratoire, d’origine zoonotique et qui aurait accompli son passage vers l’Homme plusieurs fois avec un seul succès dans une région où se sont produits de grands changements dans l’utilisation des terres. Il aurait été initialement amplifié chez l’Homme à l’insu des autorités sanitaires au sein d’une mégalopole ». Un portrait qui ressemble étrangement au Sars-Cov-2 à l’origine de la Covid-19.

Les grandes pandémies d’autrefois (pestecholéra…) étaient pour la plupart liées à des bactéries. Grâce à l’amélioration de l’hygiène et aux antibiotiques, ce type de pandémie a quasiment disparu. Nous sommes en revanche beaucoup plus menacés par les virus, dont la plasticité génétique est déterminante pour le passage d’une espèce à l’autre. Dans un article paru en juillet 2020, Emmanuel Drouet dresse quatre stades d’infection par les virus avec, en haut de l’échelle, le stade 5 où la transmission interhumaine est avérée.

C’est celui qu’a atteint le Sars-Cov-2, après être sans doute resté dormant pendant des années chez un animal réservoir — on sait aujourd’hui que le virus provient très probablement de la chauve-souris dans laquelle il se serait différencié des autres lignées il y a 40 à 70 ans. « Les agents pathogènes qui ont dépassé le stade 3 sont les plus préoccupants, car ils sont suffisamment bien adaptés pour provoquer de longues chaînes de transmission entre humains, leur propagation géographique dans l’environnement n’étant pas limitée par la gamme d’habitat d’un réservoir animal », indique Emmanuel Drouet.


Origine des principales maladies infectieuses. Adapté de © Wolfe et al.Nature, 2007

Mais pourquoi la menace serait-elle aujourd’hui plus importante ? Comme le rappelle l’Ipbes, la plus grande proximité avec les animaux augmente considérablement le risque de pandémie. « Les élevages intensifs, en particulier, sont une véritable bombe à retardement, prévient le chercheur Emmanuel Drouet. Des milliers d’animaux avec une grande homogénéité génétique, entassés dans un même endroit, ce sont les conditions idéales pour que le virus se développe et opère les mutations nécessaires pour s’adapter à l’Homme ».

On voit d’ailleurs à quel point les zoonoses peuvent causer des dégâts dans les élevages. En 2019, la peste porcine a décimé un quart des cochons de la Planète, foudroyant les animaux en quelques jours. Il suffirait que le virus parvienne à franchir la barrière d’espèce, et ce serait la catastrophe. Un scénario pas si fou : en octobre 2020, des chercheurs ont découvert que le SADS-CoV (Coronavirus du syndrome de la diarrhée aiguë porcine) était capable d’infecter les cellules humaines et de s’y répliquer.


Anticiper le risque, mission impossible ?

L’Ipbes évoque aussi dans son rapport la perturbation des écosystèmes ou le réchauffement climatique, mais le lien de cause à effet est ici plus flou. Quoiqu’il en soit, les scientifiques en appellent à des changements radicaux dans la prévention des épidémies. « Réagir aux maladies exclusivement après leur apparition, par des mesures de santé publique et des solutions technologiques, constitue un chemin lent et incertain, jalonné de souffrances humaines et coûtant des dizaines de milliards de dollars chaque année », écrivent-ils.

Les experts prônent notamment la création d’un conseil chargé de prévoir les zones à haut risque et de mettre en évidence les lacunes en matière de recherche, ou encore « une réduction des formes de consommation, d’expansion agricole mondialisée et de commerce, par exemple, au travers de taxes ou d’impôts sur la consommation de viande, la production de bétail et d’autres d’activités à haut risque de pandémie ».

Cela suffira-t-il à éviter une prochaine pandémie mondiale ? Pas sûr du tout. Au vu du nombre de virus potentiellement pathogènes pour l’Homme, établir un plan de prévention pour chacun d’entre eux relève du fantasme. Quant à la fin de l’élevage intensif, elle n’est pas pour demain. « Les virus auront toujours une longueur d’avance », conclut Emmanuel Drouet, assez fataliste.


 

Src : futura-sciences.com