EN CÔTE D’IVOIRE, LES PLANTEURS DE CACAO VEULENT PROFITER DE LA HAUSSE DES COURS

Par Dialla Konaté (Abidjan, correspondance) © lemonde.fr/afrique

Sur le marché libre, la tonne de cacao a dépassé les 10 000 dollars à New York mardi 26 mars, alors le prix du kilo ivoirien acheté aux producteurs avoisine les 1 000 francs CFA.

L’instance chargée de réguler la filière du cacao s’est attirée les foudres des planteurs pour avoir vertement critiqué, dans une note publiée mi-mars, le « surpaiement » du cacao à l’entrée des usines. Dans son viseur, les exportateurs et intermédiaires qui achètent des fèves au-dessus du prix maximum avant export, fixé à 1 080 CFA le kilo. Les contrevenants, a mis en garde l’instance, s’exposent à « une pénalité de 10 % » et au « retrait de [leur] agrément en cas de récidive ». Objectif : éviter la surenchère et protéger contre la concurrence déloyale les petits exportateurs qui n’ont pas les moyens de se procurer des fèves au-dessus du prix plafonné.

« Incohérence » du système de vente

Selon l’instance, le prix plancher garanti aux producteurs de 1000 francs CFA préserve les planteurs de la spéculation tout en donnant de la visibilité aux transformateurs de cacao locaux, ce qui est censé encourager la production de chocolat made in Côte d’Ivoire. Mais pour Kanga Koffi, à la tête de l’Anaproci, cette réglementation désavantage surtout les cultivateurs : « Dun côté, on fixe un prix minimum d’achat au planteur et, de lautre côté, on instaure un prix maximum d’achat pour lexportateur. Cette dernière règle ne permet pas aux planteurs de prétendre à plus que 1 000 francs CFA. »

Cette « incohérence » du système de vente est aussi dénoncée par le président du Synapci, Moussa Koné. Selon lui, le CCC, en exhortant les exportateurs à respecter le prix d’achat en entrée d’usine, « pousse les intermédiaires à négocier le kilo de fèves auprès des planteurs à un montant souvent inférieur au prix plancher ». Acheter au cultivateur le kilo en dessous du tarif réglementé est théoriquement interdit, mais « dans les faits, aucune sanction n’est appliquée à l’acheteur et le planteur lésé ne bénéficie d’aucun mécanisme de compensation », soutient le syndicaliste. Si les intermédiaires sont, au contraire, prêt à payer un tarif plus attractif, autour de 1 200 francs CFA, pour s’assurer d’obtenir les précieuses fèves brunes, les planteurs y gagnent.

La colère monte dans les plantations de cacao de Côte d’Ivoire. L’envolée des cours de l’or brun, tirés par une offre moins importante qu’anticipée à cause des fortes précipitations, ne profite pas aux cultivateurs du premier pays producteur. Alors que le prix de vente du kilo de fèves atteint 5 100 francs CFA (près de 8 euros) au Cameroun, en Côte d’Ivoire, qui fournit 45 % de la production mondiale de cacao, il avoisine les 1 000 francs CFA. Premier maillon de la chaîne de production, le planteur est aussi l’acteur de la filière le moins bien rétribué. Régulation oblige.

Pour protester contre cet écart entre les prix fixés par les autorités ivoiriennes et les cours sur le marché libre – la tonne de cacao a dépassé les 10 000 dollars à New York mardi 26 mars –, deux syndicats de cultivateurs ivoiriens ont déposé un préavis de grève illimité à compter du 28 mars pour perturber la fin de la campagne principale de récolte, qui se clôture le 31 mars, et le début de la campagne intermédiaire, prévu d’avril à fin septembre. Le Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire (Synapci) et l’Association nationale des producteurs de Côte d’Ivoire (Anaproci) réclament également la démission du directeur du Conseil du café-cacao (CCC).

Mais ces hausses sont incompatibles avec le système de ventes anticipées ivoirien où le prix d’achat du cacao est fixé avant chaque campagne de récolte. Une stratégie sanctuarisée par le décret du 17 octobre 2012 et pensée pour protéger les cacao-cultivateurs des aléas du marché mondial. « Si les prix actuels étaient en baisse, les revenus des producteurs auraient été garantis et ces derniers ne subiraient pas la baisse », indique le CCC. D’après l’instance, les planteurs bénéficieront de la hausse des prix sur le marché mondial « de façon décalée à partir de la prochaine campagne ».

« La Côte d’Ivoire s’emprisonne elle-même »

Le hic : la multiplication des phénomènes de fortes pluies, causées par le dérèglement climatique, provoque un amenuisement du nombre de fèves produites en Côte d’Ivoire et complique les estimations de volume d’une campagne à une autre. Or, c’est sur la base de ces estimations qu’est vendu le cacao ivoirien sur le marché mondial avant le début de la campagne de récolte. Est aussi fixé en amont le prix minimum garanti aux cultivateurs.

Avec 80 % de ses fèves commercialisées six à douze mois avant leur récolte, le pays ne peut rehausser ses tarifs pour coller à la flambée du cours. Ainsi, les prix d’achat bord champs – le cacao acheté directement auprès du planteur – des 20 % du volume restant, mis en vente durant la récolte, demeurent relativement proches du prix plancher tout au long de la campagne. « La Côte d’Ivoire s’emprisonne elle-même en privant les producteurs de bénéficier de la remontée des cours », déplore l’économiste François Ruf, qui a longtemps travaillé pour le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Pour l’Anaproci et le Synapci, les producteurs ivoiriens devraient pouvoir aussi bien bénéficier d’une protection face à la volatilité des prix du marché que de retombées économiques plus conséquentes lorsque le cours du cacao augmente. Ils exigent ainsi un « bilan du système » et un « réexamen » du décret de 2012 qui permettrait plus de souplesse sur les conditions de ventes. Par exemple, un mécanisme de revalorisation ponctuelle du prix d’achat du kilo de fèves lorsque le cours du cacao atteint un pic.

La direction du Conseil du café-cacao soutient ne pas avoir reçu de demande d’audience de la part de ces deux syndicats. Si aucune alternative au système de vente actuel n’est à l’ordre du jour, elle précise qu’un cadre de concertation existe déjà avec « les représentants d’organisations sérieuses de producteurs ». L’Anaproci et le Synapci, qui affirment représenter près 1,4 million de producteurs de café et de cacao, se disent prêts à mobiliser leurs adhérents afin d’accélérer cette concertation et obtenir un meilleur revenu pour les planteurs.