LA GRANDE MURAILLE VERTE, LABORATOIRE AFRICAIN DE L’ÉCOLOGIE DE LA SANTÉ


Approche intégrant santé humaine, monde animal et facteurs environnementaux, l’écologie de la santé vise à apporter des solutions à la désertification du Sahel et prévenir les pandémies.

Ebola, SRAS, MERS-CoV, grippe aviaire, et plus récemment le Covid-19, même si son origine précise est encore discutée… Les zoonoses, ces maladies infectieuses transmises des animaux aux humains, ou inversement, se multiplient sur la planète depuis les années 1970. En cause, la rupture de l’équilibre entre faune sauvage et présence humaine provoquée par la dégradation des écosystèmes, sur fond de mondialisation et de dérèglement climatique. S’attacher en priorité à la prévention des pandémies plutôt qu’à la prise en charge thérapeutique des personnes infectées est une urgence. L’écologie de la santé pourrait permettre d’agir en ce sens.

Une jeune femme, appartenant à l’Association des femmes de Koyly, arrache les mauvaises herbes des semis qui seront plantés dans une parcelle contribuant au projet de la Grande Muraille Verte à Koyly Alpha, au Sénégal, le 2 août 2019. JANE HAHN/REDUX-REA

Cette approche holistique, qui commence à irriguer le champ médiatique, médical et politique, « pourrait permettre d’élaborer de nouvelles formes d’intervention et de prévention dans la mesure où elle cherche à comprendre les relations étroites existant entre santé, environnement et société, qui varient en fonction du temps, de l’espace mais aussi des représentations culturelles de la maladie et du bien-être », explique Martine Hossaert, directrice de recherche au CNRS et coautrice de l’ouvrage Ecologie de la santé. Pour une nouvelle lecture de nos maux (Le Cherche-Midi Editeur/CNRS, 2017).

Pour qu’elle se diffuse au plus grand nombre, « l’écologie de la santé doit s’appuyer sur des médiateurs capables de transmettre ces connaissances avec pédagogie », estime Didier Moreau, directeur de l’Espace Mendès France (EMF). Ce centre de culture scientifique, technique et industrielle, qui compte Edgar Morin comme figure tutélaire, organise du 4 au 8 juillet, à Poitiers, avec le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine et Grand Poitiers et de plusieurs partenaires dont Le Monde, l’université d’été de la Grande Muraille verte, avec un focus sur l’écologie de la santé.

Vision transversale

Simple sur le papier, cette vision transversale est cependant difficile à mettre en œuvre sur le terrain et dans les politiques publiques. L’une des raisons tient à l’organisation en silo des expertises. Or, « l’écologie de la santé requiert des recherches pluridisciplinaires entre spécialistes de l’environnement, de l’évolution, de la santé, des sciences humaines et sociales », ajoute Martine Hossaert. Appréhender cette discipline est d’autant plus complexe qu’émergent depuis une vingtaine d’années de nombreux concepts visant, à des degrés variés et avec des sensibilités différentes, à intégrer santé humaine, monde animal et facteurs environnementaux.

« Le plus médiatisé de ces concepts est One Health, mais se sont aussi développés EcoHealth, Global Health, Planetary Health Difficile de s’y retrouver pour un non-initié, mais quel que soit le concept, la bonne nouvelle est que, dans tous les cas, ils visent tous à apporter des solutions concrètes aux pandémies », synthétise Serge Morand, écologue au CNRS. Le coauteur de l’ouvrage Sortir des crises, One Health en pratiques (Editions Quæ, 262 p., 35 euros) ajoute : « Etre plus accessible au citoyen est cependant impératif, sinon les lobbys risquent de prendre le contrôle et le pas sur la décision politique. »

Huit pays de la zone sont en conflit

Exemple d’initiative panafricaine, la Grande Muraille verte, lancée en 2007 par onze pays du Sahel, qui vise à créer d’ici à 2030 une ceinture végétale de 7 600 kilomètres de long et de 15 kilomètres de large afin de freiner l’avancée du désert et de lutter contre la pauvreté. « C’est un véritable laboratoire à ciel ouvert », estime l’anthropobiologiste Gilles Boëtsch, codirecteur de l’Observatoire hommes-milieux international Téssékéré (OHMi, CNRS-UCAD Dakar) et président de l’institut Balanitès, deux structures scientifiques et culturelles implantées au Sénégal, organisatrices de l’université d’été.

Avec huit pays de la zone en conflit, le projet global de la Grande Muraille verte peine à se déployer, mais des avancées existent néanmoins. « Le Sénégal, par exemple, est une vitrine avec plus de 50 000 hectares reboisés sur un objectif de 150 000 en 2030. Cet aménagement de l’environnement contribue, non sans difficultés, à améliorer les conditions de vie et la santé de la population », constate Priscilla Duboz, directrice adjointe de l’OHMi Téssékéré qui, au Sénégal, s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire comptant, sur un même territoire, des chercheurs en médecine, anthropologie, zoologie, toxicologie, microbiologie, écologie, hydrologie et agronomie. L’écologie de la santé en action.


Par  Isabelle Hennebelle © LE MONDE AFRIQUE