PRISCILLA KOLIBEA MANTE, LA GHANÉENNE QUI VEUT SOIGNER L’ÉPILEPSIE AVEC DES PLANTES


Priscilla Kolibea Mante est une neuropharmacologue ghanéenne, chercheure et chargée de cours à l’Université des sciences et technologies Kwame Nkrumah. Ses travaux de recherche portent sur des solutions de rechange aux options thérapeutiques à base de plantes pour la gestion de l’épilepsie résistante aux médicaments et de la neurocysticercose, une maladie tropicale négligée.

Elle fait le pari que l’Afrique recèle des trésors inexploités, que ses forêts cachent des médicaments révolutionnaires. Dans son laboratoire à l’ouest de l’immense campus d’Accra, au Ghana, les éprouvettes de Priscilla Kolibea Mante regorgent de Cryptolepis.


Cryptolepis sanguinolenta est une espèce de plante à fleurs de la famille des Apocynaceae. Un extrait de la racine est traditionnellement utilisé en Afrique de l’Ouest pour le paludisme. Il contient les alcaloïdes cryptolépine, quindoline et néocryptolépine. Les racines sont également utilisées comme colorant jaune.

Quand la pharmacopée traditionnelle utilise cette plante courante des forêts d’Afrique de l’Ouest pour traiter la malaria, la pharmacienne, elle, pense que ces feuilles pourraient aussi agir sur le système neurologique et avoir un effet sur l’épilepsie. Alors ses microscopes électroniques sont aux aguets, prêts à traquer le moindre signe nouveau, la moindre preuve de cette intuition forte qui taraude la jeune femme.

A 34 ans, Priscilla Kolibea Mante pourrait pantoufler dans l’un des nombreux laboratoires privés qui lui ont fait des offres en or de par le monde. Mais gagner plus d’argent n’est pas le moteur de cette scientifique qui rappelle que la « recherche en Afrique est un moyen pour nous de résoudre nos problèmes ». Alors elle reste sur son continent et, en avançant dans sa carrière, espère bien faire aussi avancer la recherche.

Puis Priscilla Kolibea Mante opte pour la pharmacologie à l’université Kwame-Nkrumah des sciences et technologies de Kumasi, même si les études sont longues et onéreuses pour cette native de Bubuashie, un quartier populaire situé à l’ouest d’Accra. Comme il lui faut trouver les 10 000 dollars (environ 9 000 euros) annuels pour financer son doctorat – qu’elle décrochera en 2012 –, elle prend un emploi de pharmacienne.

Au très réputé lycée Wesley Girls’Senior High School de Cape Coast, c’est parce qu’elle s’ennuyait en cours d’économie que Priscilla Kolibea Mante a jeté un œil dans la section d’à côté, qui faisait la part belle aux mathématiques, à la physique et à la biologie. L’année scolaire est largement entamée ; ses parents, professeurs en sciences humaines, l’ont nourrie à l’histoire, la philosophie et la géographie, mais elle décide tout à coup de s’affranchir de cette pression et de faire le grand saut vers l’inconnu. Bien qu’arrivée en cours d’année dans la section « sciences dures », elle s’assure un atterrissage remarqué avec 100 % de réussite dès son premier contrôle.

Et c’est là, en vendant les médicaments, que son choix de carrière s’impose comme une évidence. « J’étais en contact avec de nombreux patients qui souffraient d’épilepsie, des malades qui vivraient toute leur vie avec cette pathologie et la menace de faire une crise », raconte la jeune femme, touchée par l’histoire de ces malades et le fait qu’on n’en sache pas plus « sur la troisième maladie neurologique la plus répandue au monde, derrière la migraine et les démences ». Elle décide alors d’en faire son terrain d’étude, bien décidée à être un jour capable d’offrir des solutions.


Une « rock star » très respectée

Si cette tâche est lourde, Priscilla Kolibea Mante travaille aussi d’arrache-pied à déconstruire le schéma traditionnel africain qui voudrait que la science soit une affaire d’hommes. Aujourd’hui, elle refuse de se souvenir combien de fois on a bien pu lui demander comment elle allait jongler entre sa vie de famille et sa vie professionnelle ; question qu’elle a toujours refusé d’entendre, elle qui regrette que pour les femmes « la barre soit toujours placée plus haut » que pour les hommes. D’ailleurs, sans son séjour de recherche d’un an aux Etats-Unis, la jeune femme se demande si elle aurait trouvé la force de devenir chercheuse.

A l’université du Michigan, elle a croisé un modèle qui lui a donné le courage d’avancer. Là, elle se retrouve en effet face à la scientifique qu’elle rêve de devenir. « J’ai suivi les cours de Lori L. Isom, la responsable du département de neurologie, raconte-t-elle. Et c’est la première fois que j’ai pu m’identifier à une scientifique de renom, que j’ai eu envie de ressembler à quelqu’un. » Ce qui n’est pas pour déplaire à Mme Isom, pour qui « Priscilla est une rock star, une scientifique extrêmement rigoureuse et novatrice, très respectée par ses pairs ». D’ailleurs, son travail a été récompensé par de nombreux prix qui tapissent les murs de son bureau : une bourse présidentielle de l’université du Michigan pour les chercheurs africains, la bourse Horst Kohler ou, plus récemment, le prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science.

Autant de sacres qu’elle vit comme un moyen de l’aider à faire bouger les lignes. Dans son laboratoire, la scientifique encadre aujourd’hui cinq étudiants et, pour permettre à la nouvelle génération de se faire entendre, elle a fondé la Ghana Young Academy, où les filles ne seront pas oubliées. « Nous voulons nous faire une place aux côtés des cheveux grisonnants de l’Académie des sciences du Ghana, qui est une institution plutôt conservatrice, et nous y parvenons petit à petit », sourit-elle. Changer le monde : c’était un rêve de petite fille pour celle qui voulait devenir présidente de la Banque mondiale… Aujourd’hui, ce désir prend corps dans ses éprouvettes.


 

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