En Guinée, le long combat des survivants d’Ebola, entre séquelles et stigmatisation


Ils ont survécu à la mort mais ne sont pas sortis de l’enfer pour autant. Et les choses pourraient empirer: le programme de recherche qui leur offre un suivi gratuit se termine en mars 2019 et beaucoup de survivants guinéens pourraient se retrouver livrés à eux-mêmes dans une société qui les rejette.

Le sourire jovial et chaleureux du Dr Mamoudou Oury Diallo ferait presque oublier que ce jeune médecin guinéen a vu sa vie basculer en mars 2015. Alors interne à l’hôpital Ignace-Deen à Conakry, la capitale de la Guinée, il soigne sans le savoir un patient atteint de la fièvre hémorragique Ebola. «J’avais pourtant mis des gants et respecté toutes les règles d’hygiène, se souvient le Dr Diallo. Mais je ne les avais plus lorsque le malade m’a tendu ses billets imprégnés de sueur pour me payer.» Ce n’est que le lendemain matin qu’il apprend que l’homme est infecté par le virus mortel. «J’ai immédiatement appelé ma femme. J’étais un cas contact, il fallait que je m’isole pour protéger ma famille.» Après avoir passé 4 jours dans sa voiture, la fièvre se manifeste et le pousse à se rendre dans un centre de traitement Ebola (CTE). Il y restera 9 jours, et sera l’un des survivants de la terrible épidémie qui a endeuillé l’Afrique de l’Ouest en 2014 et 2015. «Mais le vrai combat a commencé à ma sortie du CTE», glisse le médecin.


Fanta Camara fait partie des premiers malades diagnostiqués à Conakry. Six membres de sa famille sont morts, trois ont survécus. Charismatique, elle travaille maintenant pour MSF et assure le suivi psycho-social des guéris d'Ebola au centre de Nongo à Conakry. © Virginie Matter RTS

Car après avoir vaincu Ebola, les survivants sont considérés comme des pestiférés. Une partie de la population est convaincue que le gouvernement est responsable de l’épidémie, et que les soignants sont complices. Une méfiance qui s’étend aux rescapés: s’ils sont sortis vivants du CTE, c’est pour propager la maladie, croient certains.

Quand j’ai repris mon poste à l’hôpital, mes collègues refusaient de s’asseoir sur la même chaise que moi. Ils disaient aux patients que j’étais dangereux et qu’il ne fallait pas qu’ils se laissent ausculter par moi.

Dr Mamoudou Oury Diallo

Le Dr Fanta Chérif a été l’une des premières à connaître cette stigmatisation. Contaminée en mars 2014, elle fait partie des premiers malades d’Ebola à sortir vivants d’un CTE. «À l’époque, Ebola était synonyme de mort. Tout le monde disait que la maladie ne pouvait pas se soigner. Alors dans le CTE, on se pensait condamné, on ne faisait qu’attendre la mort», raconte la jeune femme. À son retour à la faculté de médecine, les étudiants la fuient, la surnomment «Ebola».


Marie Claire Tchécola, infirmière, a reçu le prix international Femme de courage en 2015. Dans l'enveloppe les résultats de ses dernières analyses: aucune trace d'Ebola dans son corps. © Virginie Matter RTS

«Quand j’ai repris mon poste à l’hôpital, mes collègues refusaient de s’asseoir sur la même chaise que moi. Ils disaient aux patients que j’étais dangereux et qu’il ne fallait pas qu’ils se laissent ausculter par moi», ajoute le Dr Diallo, encore choqué par le comportement de ces confrères. Éprouvé, il a quitté son travail et n’a plus exercé. Mais de cette épreuve est né le Réseau national des associations de survivants d’Ebola en Guinée (Renaseg) qui œuvre pour les 1270 guéris d’Ebola, 500 veufs et veuves et 6220 orphelins, et sensibilise la population pour mettre fin à la stigmatisation, encore palpable deux ans après l’épidémie.

À l’époque, tous les moyens étaient alloués à la phase aiguë de la maladie. Le post-Ebola n’existait pas. Les rescapés étaient renvoyés chez eux avec un petit paquet de riz(…) Livrés à eux-mêmes.

Pr Éric Delaporte, spécialiste des maladies infectieuses et directeur de recherche à l’Institut pour le développement (IRD)

Mais la lutte contre la discrimination n’est pas le seul combat que doivent mener les rescapés. Ils sont confrontés à une autre difficulté: reconstruire leur vie alors que le virus leur a laissé des séquelles, parfois graves et handicapantes. Environ trois survivants sur quatre souffrent de troubles psychologiques (stress post-traumatique, dépression) et physiques (douleurs articulaires, troubles oculaires, ou auditifs), d’après le programme français de recherche PostEboGui. Lancée à l’acmé de l’épidémie par le Pr Éric Delaporte, spécialiste des maladies infectieuses et directeur de recherche à l’Institut pour le développement (IRD), cette étude est l’une des seules à s’être intéressées aux survivants et à leurs vulnérabilités. «À l’époque, tous les moyens étaient alloués à la phase aiguë de la maladie. Le post-Ebola n’existait pas. Les rescapés étaient renvoyés chez eux avec un petit paquet de riz et un peu d’argent. Ils étaient livrés à eux-mêmes», raconte le chercheur.


L'équipe de sensibilisation de MSF explique aux mères de famille, issues de l'ethnie Peulh que les guéris d'Ebola ne constituent plus un danger. © Virginie Matter RTS

Avec l’Inserm et les autorités guinéennes, le Pr Delaporte a mis en place cette cohorte dans quatre grandes villes du pays (Conakry, Forécariah, Nzérékoré et Macenta). Au total, 800 personnes guéries, dont 20 % d’enfants, bénéficient d’un suivi médical et de soins gratuits. «Entre ces consultations régulières, ils peuvent venir au centre. Il y a toujours quelqu’un pour les prendre en charge, même pour des problèmes de santé sans lien avec Ebola», décrit le chercheur. Le projet a aussi eu une forte dimension sociale. Au début de l’étude, un fonds d’aide sociale a permis d’accompagner les survivants qui avaient perdu leur emploi à cause de la stigmatisation.

En mars 2019, les participants de la cohorte ne bénéficieront plus de ce suivi sur-mesure. Une fin programmée et annoncée qui préoccupe beaucoup les survivants

Mais en mars 2019, les participants de la cohorte ne bénéficieront plus de ce suivi sur-mesure. Une fin programmée et annoncée qui préoccupe beaucoup les survivants. «Quand le programme PostEboGui sera terminé, qui prendra en charge les survivants qui présentent des séquelles? Les projets de l’État permettront-ils une prise en charge totale et gratuite?», interroge Camara M’bemba Soriba, membre du Renaseg.

Le Pr Delaporte comprend ce désarroi, car il sait que le système de santé guinéen n’est pas en mesure de répondre à tous les besoins des rescapés. «Nous avons tapé à la porte des bailleurs de fonds de l’aide au développement, mais nous n’avons pas eu de réponse», regrette-t-il. En attendant, l’équipe PostEboGui essaie de faire au mieux. «Ces six prochains mois, nous organisons une visite de sortie pour tous les participants de l’étude. Nous essayons également de conserver un dispositif d’urgence pour les patients très démunis, assure le chercheur. Nous ne les laissons pas tomber.»


Jules Ali Koundounou, 31 ans, médecin à Conakry, a attrapé Ebola en septembre 2014 à l'hôpital national de Donka. Il a dû trouver une nouvelle habitation après être sorti du centre de traitement d'Ebola. © Virginie Matter RTS

 

 

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