QUEL EST LE VRAI PROBLÈME AVEC L’HUILE DE PALME ?


C’est l’ennemi juré des nutritionnistes et de bon nombre de militants écologistes. En quelques années, l’huile de palme est sortie d’un anonymat relatif pour devenir l’emblème d’un monde à la dérive, saturé de gras et déforestant une planète à l’agonie, pour le simple plaisir de manger de la pâte à tartiner… Que reproche-t-on concrètement à l’huile de palme, et pourquoi est-elle devenue un tel symbole ?

Au fait, qu’est-ce que l’huile de palme ? C’est une matière grasse végétale issue du fruit du palmier à huile Elaeis guineensis. On l’obtient par pression à chaud des fruits, qui contiennent chacun 30 % de lipides. C’est la matière grasse la plus utilisée dans le monde, et sa consommation ne fait qu’augmenter : en 10 ans, sa production a doublé.

1. La production de l’huile de palme

Où est-elle produite ?

Ce palmier, originaire d’Afrique de l’Ouest, a été importé en Asie du Sud-Est dans les années 1960. Aujourd’hui, l’huile est produite à 85 % en Indonésie et en Malaisie, mais également dans le bassin du Congo, et en Amazonie. C’est un pilier pour l’économie locale : en Indonésie, elle représente un tiers des exportations agricoles, soiti jusqu’à 10 % du PIB des pays producteurs.

Comment est-elle produite ?

70 % de l’huile de palme provient de monocultures détenues par de grands groupes industriels : l’agriculture vivrière disparaît peu à peu dans les pays producteurs, au profit d’une agriculture d’exportation qui bénéficie à une minorité. Cette dernière abat des forêts entières au bulldozer et a recours à des incendies pour défricher les zones destinées aux futures plantations.

Quel est son impact environnemental ?

La production d’huile de palme est rendue responsable d’un tiers de la déforestation en Asie du Sud-Est dans les années 2000, ce qui a contribué à hisser l’Indonésie au rang de troisième pays émetteur de gaz à effet de serre. En effet, la déforestation entraîne de facto une diminution de la biomasse terrestre, qui a pour double conséquence de faire disparaître le premier réservoir de carbone sur Terre – que sont les forêts – et de contribuer à la production de gaz à effet de serre – en les brûlant. Cela entraîne donc une accélération sans précédent du réchauffement climatique.

Mais ce n’est pas tout : on parle beaucoup (ce qui ne veut pas dire assez) des conséquences du changement climatique. Mais quid de l’effondrement de la biodiversité ? Avec la forêt, c’est tout un réservoir de biodiversité qui part en fumée, à l’instar des Orangs-outans, devenus emblèmes du désastre. Leur population a chuté de plus de 90 % en un siècle sur l’île de Sumatra en Indonésie, et chaque jour, ce sont 25 d’entre eux qui meurent pour combler nos besoins en huile. L’UICN estime que l’expansion du palmier à huile pourrait affecter 54 % de tous les mammifères

Les plantations de palmiers à huile recouvrent plus de 18 millions d'hectares. Nanang Sujana/CIFOR

2. Consommation

Qui la consomme et comment ?

La consommation d’huile de palme va de paire avec le PIB : dans les pays industrialisés, on en consomme jusqu’à 40 kg par habitant et par an. Et vous l’imaginez, il ne s’agit pas que de pâte à tartiner. Certes, l’alimentation représente un secteur majeur : c’est l’huile de base dans les régimes alimentaires des régions tropicales, qui restent les plus grosses consommatrices.

Mais pour ceux qui ne vivent pas sous les palmiers (à huile entre autres), on la retrouve dans un nombre effrayant de produits industriels, allant de la soupe instantanée au lait pour bébé. En chiffres, cela ne représente que 35 % des importations européennes, car ce qui pompe le plus d’huile de palme en Europe, ce sont les agrocarburants, avec 45 % des importations, contre 20 % dans le reste du monde. Et les pourcentages restants vont à l’oléochimie – qui regroupe tous les produits dérivés tels que les cosmétiques et les bougies – et le secteur de l’énergie électrique.

Pourquoi est-elle consommée ?

Le rendement de l’huile de palme est économiquement imbattable : pour la même quantité de calories produites, il faudrait 2 à 3 fois plus de terres utilisées pour une autre huile végétale. Ainsi, elle couvre 7 % des terres agricoles utilisées pour la production d’huiles végétales pour en produire 40 % de l’offre mondiale. De ce rendement découle son prix très attractif, 20 % moins cher que son premier concurrent, le soja. Enfin, un atout majeur : sa qualité et sa stabilité. C’est une huile solide à température ambiante, stable dans le temps, résistante aux hautes températures… Autant de propriétés texturales qui séduisent l’agro-industrie.

L’huile de palme est-elle mauvaise pour la santé ?

Non, l’huile de palme n’est pas mauvaise pour la santé. Aucune étude n’a montré que l’huile de palme soit néfaste pour l’organisme. Tout est parti d’un conflit entre des lobbies industriels américains, en 1989 : les « anti-huile de palme » étaient alors des « pro-huile de soja » désemparés devant la montée en puissance de leur concurrent sur le marché mondial. À court d’arguments, l’aspect sanitaire a été pointé, masquant au passage le réel problème des huiles végétales raffinées : leur hydrogénation, un procédé chimique très néfaste pour la santé. Or, l’huile de palme n’a pas besoin de cette étape de raffinage, de part ses propriétés texturantes naturelles.

Un homme participant à la récolte des fruits à l'origine de l'huile de palme. Crédit : AFP

Mais alors, pourquoi la mention « sans huile de palme » se multiplie encore dans les rayons des supermarchés ? C’est parce que de nos jours, le problème est son omniprésence dans les produits transformés. Ce qui pose problème pour la santé, et notamment cardio-vasculaire, c’est la surconsommation de lipides en général, et en particulier de graisses saturées, et pas seulement d’huile de palme. En somme, elle représente plus un symbole qu’un véritable problème de santé publique.

Faut-il arrêter l’huile de palme ?

Quand on y pense, l’huile de palme pourrait contribuer à une meilleure préservation des ressources naturelles, nécessitant moins de surface tout en produisant plus que ses concurrentes. Mais cette affirmation n’est aujourd’hui valable qu’au conditionnel, le problème de fond reposant sur les monocultures industrielles de palmier aux bilans environnemental et social catastrophiques.

Ceci étant, ne nous trompons pas de débat : il ne s’agit pas d’interdire toutes les cultures de palmiers à huile. En effet, l’interdiction de l’huile de palme engendrerait un report des besoins sur d’autres cultures nécessitant leur extension. Or, l’objectif est de ne pas augmenter les surfaces de plantation. Et face à une demande qui croît plus vite que la démographie – la production devrait être multipliée par 4 d’ici 2050 – la seule solution envisageable est de revoir le modèle agricole actuel. Une responsabilité qui n’est pas seulement entre les mains des décideurs politiques et des lobbies industriels !

Il est nécessaire de repenser nos habitudes afin de les axer vers des productions locales qui soient plus résilientes, durables et équitables. Et la bonne nouvelle, c’est que nous n’avons pas besoin d’huiles végétales venues des tropiques, telles que l’huile de palme, pour subvenir à nos besoins, qu’ils soient alimentaires ou énergétiques : il pousse suffisamment de plantes oléagineuses endémiques en Europe comme l’olive, le colza et le tournesol. Leur consommation permet non seulement d’éviter des méthodes de culture douteuses mais aussi des milliers de kilomètres de transport à travers le monde. Tout le monde y est gagnant.

En conclusion, l’huile de palme est un produit qui doit attirer l’attention sur la façon dont on veut organiser le commerce mondial. Elle est le symbole d’une lutte sociale, environnementale et sanitaire pour faire face aux besoins du futur.