DEUX CAMEROUNAISES RÉCOMPENSÉES POUR LEURS RECHERCHES SUR LES PLANTES MÉDICINALES


Dans le nord rural du Cameroun, où elles sont nées, très peu de femmes accomplissent une carrière scientifique. Mais Sabine Adeline Fanta Yadang, 32 ans, docteure en neurosciences, et Hadidjatou Daïrou, 33 ans, doctorante en physiologie cellulaire, ont vaincu le sort et les préjugés.

Le 8 novembre 2023, elles ont été récompensées du Prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science, parmi 30 scientifiques d’Afrique subsaharienne pour « la qualité de leur recherche ».

Toutes les deux ont été saluées pour leurs travaux sur le potentiel des plantes médicinales traditionnelles au Cameroun dans le traitement des maladies cardiovasculaires et d’Alzheimer.

Les deux jeunes scientifiques se côtoient au laboratoire de l’Institut de recherches médicales et d’études des plantes médicinales (IMPM) de Yaoundé, la capitale.

Hadidjatou Daïrou dépose délicatement le contenu d’une pipette dans une boîte de Pétri destinée à la culture de micro-organismes.

Sa rencontre avec les plantes médicinales remonte à ses années d’étudiante en pharmacologie à l’Université de Ngaoundéré, dans le nord du pays.

Alzheimer et maladies cardiovasculaires

« J’ai vu ce que fait un extrait de plante sur le corps humain et combien ça peut aider les gens dans mon entourage », raconte la jeune femme distinguée pour ses recherches sur « le potentiel de la plante indigène Garcinia Kola dans le traitement des maladies cardiovasculaires ».

Sabine Adeline, qui préfère être appelée Fanta Yadang, injecte d’autres prélèvements dans des éprouvettes avant de les passer à la centrifugeuse.

Elle reste attachée à son nom Moundang, un peuple dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, où ses grands-parents utilisaient déjà les plantes pour se soigner.

« Je voulais devenir médecin, mais je n’ai pas eu le concours, je voulais surtout aider mon prochain, alors je me suis intéressée aux plantes médicinales », explique-t-elle.

« Dans une région où les filles ne sont pas encouragées à aller à l’école, elle s’est dressée pour défier les stéréotypes et surmonter la discrimination sur le lieu de travail » précise l’organisation du concours.

Elle a reçu ce prix car elle « cherche à mieux comprendre la physiopathologies des maladies neurodégénératives, en particulier Alzheimer, pour trouver dans les plantes médicinales une nouvelle source de thérapie ».

La médecine traditionnelle, ancestrale est reconnue comme un secteur de santé à part entière.

« Au Cameroun, les patients ont recours aux plantes avant d’aller à l’hôpital », assure Eric Owoundi Nkoa, phytothérapeute et secrétaire du Pôle Médecine et pharmacopée du ministère des Arts et de la Culture, qui détaille: « 70% à 80% des Camerounais consomment cette médecine naturelle ».

Pour Hadidjatou, les écorces de petit cola –le nom populaire de la Garcinia Kola, une graine ressemblant à une noix très consommée en Afrique pour soigner ou soulager toutes sortes de maux– pourraient améliorer la santé cardiovasculaire. « Notamment pour l’athérosclérose, une des causes majeures des crises cardiaques », explique-t-elle.

Fanta Yadang mise, elle, sur le lait de souchet, très consommé en Afrique centrale, extrait d’une plante réputée localement pour ses vertus médicinales depuis des millénaires.

Face à des traitements classiques « très coûteux » pour ralentir Alzheimer, la chercheuse espère prouver que cette plante permettra « de combattre la dégénérescence des neurones et réduire le stress du cerveau atteint. »

Héritage familial

Au Cameroun, seules 13% des jeunes filles de la tranche d’âge concernée étaient inscrites dans l’enseignement supérieur, estimait l’Unesco en 2018. Les deux chercheuses font donc figure d’exception.

« Dans le Nord, où on dit que les filles ne poussent pas les études loin, j’ai vraiment démontré le contraire », s’enorgueillit Fanta Yadang. Quand elle a dû concilier études et maternité il y a bientôt 10 ans, c’est auprès de sa famille qu’elle a trouvé la force de continuer.

« Mon père est infirmier et ma mère sage-femme. Ils nous disaient: faites des études et elles feront de vous quelqu’un », se remémore-t-elle.

En indéfectible soutien, le père d’Hadidjatou, vétérinaire, l’a poussée à étudier jusqu’au doctorat. « Y compris quand certains compagnons estimaient que j’empruntais un chemin trop long. Pour beaucoup, une femme n’a pas besoin de cela pour s’occuper de son foyer et risque de ne pas être +soumise+ », déplore-t-elle.

Avec les bourses de 10.000 et 15.000 euros qui accompagnent le prix Jeunes Talents, Hadidjatou achèvera sa thèse et Fanta poursuivra ses recherches à l’Université d’Ibadan, au Nigeria voisin. « L’avenir de l’Afrique est entre les mains de ses scientifiques », assène-t-elle fièrement.