NON, LES ÉCRANS NE RENDENT PAS VOS ENFANTS IDIOTS ET PEUVENT MÊME ÊTRE BÉNÉFIQUES !


Dans l’espace médiatique, les écrans sont souvent jugés comme un fléau pour le développement des enfants. Que disent vraiment les scientifiques qui travaillent sur la question des effets sur la santé de l’utilisation des outils numériques ?

Les bénéfices d’un usage raisonné des écrans

Avant de commencer, il est nécessaire de faire un petit détour terminologique : « les effets des écrans » pris isolément, cela ne veut pas dire grand-chose. Séverine Erhel (Maîtresse de conférences en psychologie cognitive et ergonomie à l’université de Rennes) préfère parler « d’ensemble d’activités et de pratiques numériques dans un contexte situé et au sein d’une population donnée ». Clarifications faites, Séverine Erhel nous rappelle qu’il n’y a plus vraiment de débat aujourd’hui concernant le caractère négatif sur l’ensemble du développement d’une exposition excessive aux écrans en général : « il est clair qu’à partir de 4 à 5 heures d’écrans par jour pour un enfant entre 2 à 3 ans, on observe des associations négatives entre cette surexposition, les apprentissages et le développement cognitif ».

Concernant un usage raisonné, cela est beaucoup moins évident selon la chercheuse : « dans la littérature scientifique, il existe de nombreux résultats qui soutiennent qu’un temps raisonnable – une heure à 3 ans et jusqu’à deux heures pour les plus âgés selon les recommandations nationales – de certaines activités numériques peut être associé positivement à certaines sphères du développement de l’enfant et de l’adolescent »Séverine Erhel fait référence ici notamment à une revue de littérature publiée en 2019 par l’équipe de Yemaya Halbrook, une chercheuse irlandaise qui étudie la psychologie des jeux vidéo, qui démontre que ces derniers peuvent avoir un impact positif sur le développement socio-affectif et les interactions sociales. 

En réalité, comme n’importe quelle activité, l’usage du numérique requiert des conditions pour être efficace : « plusieurs méta-analyses mettent en lumière l’importance d’autres paramètres que le seul temps d’exposition comme la qualité des programmes proposés à l’enfant et surtout le co-viewing (littéralement la co-vision, ndlr). Les activités les plus bénéfiques sont généralement celles qui sont ciblées sur les apprentissages et qui supportent le transfert de compétences et de connaissances au contexte souhaité »précise Séverine Erhel qui fait référence ici aux méta-analyses (sur les compétences langagières et sur le développement cognitif) de l’équipe de Sheri Madigan, une enseignante-chercheuse canadienne qui s’intéresse aux déterminants du développement de l’enfant et à celle de Christothea Herodotou, une enseignante-chercheuse britannique en technologie de l’apprentissage et en justice sociale.

Les dérives du numérique

Comme nous l’avons dit d’emblée, le numérique n’a pas que des bénéfices, et là encore, le temps d’exposition n’est pas la seule variable pertinente : « certains usages des outils numériques sont problématiques : ce n’est pas une nounou et dans l’idéal il ne doit pas entraver les interactions parents-enfant au risque d’entraîner des réactions en cascade qui nuiront au développement socio-affectif de l’enfant »rappelle Séverine Erhel. La chercheuse fait ici référence à des comportements tristement banals comme laisser la télé allumée en arrière-plan ou être sur son téléphone pendant que notre enfant cherche à interagir avec nous. Plus largement, Séverine Erhel pointe du doigt le problème de la technoférence – des interruptions quotidiennes des interactions interpersonnelles ou du temps passé ensemble qui se produisent à cause des appareils de technologie numérique et mobiles – conceptualisé par Brandon Mcdaniel, un chercheur américain qui étudie les dynamiques des relations familiales. 

Malgré ces dérives, il faut sortir de cette image caricaturale et négative du numérique car elle n’est plus en adéquation avec ce que nous montre la recherche : « la théorie du déplacement, qui suggère que chaque seconde passée à regarder un écran est forcément délétère car on pourrait faire autre chose à la place n’est plus vraiment prise au sérieux aujourd’hui. On préfère plutôt la théorie dite de la boucle d’or qui suggère que les impacts des écrans suivent une courbe en cloche inversée. Autrement dit, il y aurait un optimum de temps d’activités numériques qui serait plus bénéfique que pas d’écran du tout pour le fonctionnement émotionnel et social des enfants et des adolescents », explique Séverine Erhel.

En effet, nous baignons dans le numérique – toutes les personnes nées dans les années 1990 ont grandi avec un ordinateur au bout des doigts – et par conséquent ne pas utiliser d’écrans du tout reviendrait à une forme de privation colossale. Cette théorie de la boucle d’or permet de penser le numérique au-delà d’une vision binaire où les usages numériques seraient soit strictement positifs, soit absolument néfastes. Séverine Erhel rappelle les propos de Bruno Latour, sociologue, anthropologue, théologien et philosophe des sciences français : « La technique n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. Elle n’existe pas en tant que telle, elle est une partie de la capacité à construire les relations sociales. »

Le gros problème des messages alarmants infondé

Vous êtes maintenant en mesure de comprendre que les messages alarmants présentés au début de cet article sont infondés. Ils sont également dangereux et stigmatisants. « En prenant au sérieux ce type de message, certains professionnels de santé pourraient en venir à ne pas suivre les recommandations de la Haute Autorité de santé lorsqu’un enfant n’a pas d’interaction verbale et qu’on peut suspecter un TSA. Il ne suffit pas d’aller voir un « coach écran » pour prendre en charge ce type de trouble neurodéveloppemental », s’indigne Séverine Erhel.

Pour les propos concernant la lecture, Séverine Erhel pointe plusieurs problèmes : « le meilleur prédicteur des compétences en lecture, c’est le niveau socio-économique des parents. C’est un problème d’inégalités sociales, économiques et culturelles. Concernant le type d’ouvrage, la littérature scientifique n’est pas claire concernant les effets des mangas ou des bandes dessinées. Pourtant, si l’on analyse cela à travers le prisme de la théorie du double codage d’Allan Paivio qui suggère qu’on retient mieux ce qu’on apprend en associant la verbalisation à des images, on peut légitimement avoir un doute quant à l’absence totale d’effets positifs de ces contenus », suggère Séverine Erhel. 

De plus, les conseils de Michel Desmurget semblent complètement nier l’importance des facteurs conatifs, des régulations motivationnelles et des dynamiques culturelles. Une activité « efficace » est avant tout une activité qui procure du plaisir. Lire sous la contrainte éloignera probablement plus les enfants de la lecture que de tenter de leur transmettre l’envie d’apprendre et de lire à travers des éléments socialement et culturellement pertinents pour eux.