COMMENT L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE VOIT L’AFRIQUE


Le dernier salon VivaTech, à Paris, du 14 au 17 juin, a fait une grande place aux questions soulevées par l’intelligence artificielle. L’occasion de réfléchir à la manière dont cette dernière perçoit l’Afrique ?

On parle beaucoup d’intelligence artificielle (IA) ces jours-ci. Est-ce une bonne chose, est-ce une mauvaise chose ? Est-elle au service de l’humanité ou constitue-t-elle un danger ? Quelles sont ses conséquences pour l’emploi ? Va-t-elle déclencher une nouvelle révolution industrielle ? Qui seront les gagnants, qui seront les perdants ? On trouve ce genre de débat un peu partout, il est inutile de le reprendre ici.

Biais de confirmation

En revanche, ce qui me semble moins souvent évoqué, c’est le biais de confirmation qui est à la base des algorithmes de l’IA. Puisqu’il s’agit de compiler une somme impressionnante de textes déjà existants pour en faire la synthèse, le résultat confirme forcément le point de vue de la majorité. Et tant pis pour l’originalité, l’extravagance, l’oiseau rare, le loup blanc.

Je me souviens d’un marchand de pépites d’El Jadida, dans ma jeunesse, qui clamait à qui voulait l’entendre que le meilleur footballeur du monde était le Brésilien Garrincha alors que le consensus, à l’époque, s’était fait autour de Pelé. Si l’IA avait existé à l’époque, elle aurait naturellement sacré le roi Pelé. Je ne dis pas qu’elle aurait eu tort, je dis que c’est parce qu’il y a des farfelus qui vont à contre-courant, qui vous parlent de Garrincha en remplissant de pépites un cornet, que ce monde a un goût, celui de la surprise amusée, de l’étonnement, de l’éclat de rire…

La phrase la plus célèbre de la littérature d’expression néerlandaise – elle ouvre le classique De uitvreter de l’écrivain Nescio (1882-1961) – fait allusion à un inconnu qui était d’avis que la plus belle rue du monde était Sarphatistraat à Amsterdam. Rien que pour cette opinion insolite – Sarphatistraat n’a rien d’exceptionnel, je le sais pour y avoir vécu au numéro 42 –, l’anonyme est devenu célèbre, si on peut dire, et a fait de la phrase où il apparaît comme l’équivalent batave du fameux « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ».

Manipuler l’algorithme

Vous me dites que tout le monde se fiche de Garrincha et d’un écrivain hollandais connu de sa seule mère. Ce n’est pas très gentil de m’objecter ça, et sur quel ton, mais je vois ce que vous voulez dire.

Mais alors, que pensez-vous d’un autre biais de confirmation qui nous regarde bel et bien, qui nous concerne en tant qu’Africains : comment l’intelligence artificielle nous considère ? Autrement dit : comment l’IA voit l’UA ?

Faites l’expérience suivante avec Google Images : tapez comme mots-clés « enfants Afrique » et vous obtiendrez surtout des photos d’enfants mal nourris, mal vêtus, faisant triste mine ; tapez « enfants Europe » et ce sera le contraire : d’adorables bambins souriants ou des pré-ados bien nourris et en bonne santé.

L’algorithme utilisé pour obtenir ces images si contrastées est du même type que ceux qu’utilise l’IA pour produire des textes. Il ne faut pas s’étonner si les textes concernant l’Afrique sont aussi misérabilistes. La question qui se pose est la suivante : que pouvons-nous faire pour redresser ce biais ? La réponse est étonnamment simple : il nous faut nous joindre à la conversation.


Produisons en masse des textes mettant en valeur les bons côtés de l’Afrique, inondons les réseaux de photos de chérubins et de petites princesses à la peau sombre, souriants et bien portants. C’est ainsi que nous manipulerons l’IA pour la bonne cause, elle qui nous manipule si souvent à des fins inavouables. Et à force d’évoquer Garrincha dans nos échanges, l’IA finira bien par le ressusciter. Belle revanche pour le marchand de pépites…


Article de Fouad Laroui Src : Jeune Afrique