ENTRE MOQUERIES, ESPRIT DE REVANCHE ET INQUIÉTUDES : LE CHAOS AU CAPITOLE VU D’AFRIQUE


De la Guinée au Mali, en passant par la Côte d’Ivoire ou l’Ouganda, médias et internautes se souviennent lorsque Donald Trump qualifiait leur Etat de « pays de merde ».

C’est avec une ironie mordante que certains internautes et médias du continent africain ont réagi aux scènes de chaos observées mercredi 6 janvier à Washington, quand des partisans de Donald Trump ont pénétré par effraction au sein même du Capitole. « Quand l’Amérique fait pire que l’Afrique », titre ainsi LeDjely.com. Ce site d’information guinéen, aux éditoriaux souvent acérés, étrille les « agissements inouïs » des supporteurs du président sortant américain, tout en y voyant un « enseignement ».

« Certains comportements ne sont pas l’apanage des peuples dits arriérés. Il est aujourd’hui évident qu’il n’y a pas qu’à Conakry, Abidjan ou Kigali que les populations peuvent se laisser manipuler par des leaders politiques. » Ainsi, poursuit le média, « il serait souhaitable que les éternels donneurs de leçons puissent s’en inspirer pour se laisser aller à moins d’arrogance et de condescendance à l’égard des autres ».

Même tonalité à Bamako, où les Maliens se gaussent de ce qui ressemblerait, en moins abouti, au coup d’Etat du 18 août 2020 qui a fait chuter l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta. A l’époque, les communiqués des diplomates américains demandaient au mouvement de contestation du M5 et au gouvernement de « travailler à une résolution du conflit » et aux policiers maliens de « respecter les principes des droits humains ».


Les manifestants pro-Trump à l'intérieur du Capitole. © Saul LOEB / AFP

Un scénario de crise postélectorale

Sur Twitter, mercredi soir, les internautes se sont amusés à détourner le discours habituel des relations Nord-Sud. « Les candidats Biden et Trump doivent privilégier le dialogue et résoudre tout différend dans le strict respect des lois américaines. L’ambassadeur du Mali sur place va les rencontrer dans les heures à venir pour parler d’un plan de sortie de crise », moque Buubu Ardo Galo Maasina.

En Côte d’Ivoire aussi, ils ont été nombreux sur les réseaux sociaux à ne pas bouder leur plaisir de voir les Etats-Unis englués à leur tour dans un scénario de crise postélectorale. Sur Twitter, le compte @iciabidjan se souvient des mots peu amènes de Donald Trump à l’endroit de certains pays africains, qualifiés en 2018 de « shitholes countries » (« pays de merde »), et renvoie l’injure au président américain en relayant l’image des manifestants en train de forcer l’entrée du Capitole.

De nombreux internautes s’interrogent également sur le « white privilege », le « privilège blanc » dont bénéficieraient les supporteurs de Donald Trump face aux forces de l’ordre, en faisant le parallèle avec les manifestations du mouvement Black Lives Matter, qui ont été sévèrement réprimées, notamment en 2020.

Un aspect que dénonce avec virulence l’opposant et avocat canado-kényan Miguna Miguna. « Lorsque des Africains que l’on appelle aussi “NOIRS” protestent partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis, ils sont accueillis avec une BRUTALITÉ TERRIFIANTE par la police (…). Mais lorsque des Caucasiens ou des “BLANCS” protestent, la police se tient en retrait », s’indigne sur Twitter ce juriste, expulsé au Canada en 2018 après avoir participé à l’investiture comme « président du peuple » de l’opposant Raila Odinga.


Des partisans de Donald Trump à l'intérieur du Capitole, le 6 janvier 2021 à Washington / afp.com - Saul LOEB

En Ouganda, où la présidentielle du 14 janvier verra l’indéboulonnable Yoweri Museveni briguer un sixième mandat, dans un climat de répression accru, les événements américains fournissent au célèbre journaliste Charles Onyango-Obbo l’occasion d’une réflexion amère. Les Etats-Unis sont « l’une des “plus anciennes démocraties” du monde, mais elle s’est effilochée en quatre ans », écrit-il.


Railler le pouvoir algérien

Ainsi, « il semblerait que les antidémocrates en Afrique ont raison (même si je déteste l’admettre) quand ils disent que nos démocraties sont jeunes et donc nécessairement imparfaites. Ça doit être décourageant pour les démocrates de penser que nous n’aurons peut-être pas une maturité politique à toute épreuve dans deux cents ans – voire jamais ».

Fidèle à sa ligne satirique, le site El Manchar en a profité de son côté pour railler le pouvoir algérien, et notamment la tendance du président Abdelmadjid Tebboune à réclamer des enquêtes sur de nombreux sujets.

Le titre s’est également fendu d’une allusion acide à l’invasion de l’Irak sous la présidence de George W. Bush, en 2003. Cette fois, ce sont les Etats-Unis que « Trump décide d’envahir pour y instaurer la démocratie ».


 

AFP