PETIT COMMERCE, FRANCHISES, GRANDE DISTRIBUTION : LA CONSOMMATION AFRICAINE EN MUTATION


Le cabinet de conseil A.T.  Kearney a récemment publié son classement 2019 des pays émergents les plus prometteurs sur le marché de la distribution et du commerce de détail. Dans le top 10 figurent deux pays d’Afrique de l’Ouest : le Ghana et le Sénégal. 

Après la crise financière de 2008 et la publication par certains organismes internationaux de rapports prometteurs annonçant que l’Afrique subsaharienne serait la prochaine Asie pour la vente de biens de consommation, de nombreuses enseignes internationales ont investi sur le continent. On parlait à l’époque de « marchés frontières » qui devaient permettre de tirer la croissance des ventes des grandes enseignes internationales sur les marchés émergents de demain, dont de nombreux pays africains faisaient partie.

Or l’aventure africaine de certaines grandes marques internationales s’est révélée être un échec pour deux grandes raisons : une classe moyenne beaucoup moins importante et homogène que prévu et des difficultés opérationnelles trop souvent occultées (prix du foncier, instabilité du réseau électrique public, coûts et délais d’importation des produits, difficultés de conversion des devises, conditionnement des productions locales, faible utilisation de la carte bancaire, etc.).


« L’expérience montre tout d’abord qu’une approche globale de l’Afrique subsaharienne ne fonctionne généralement pas.»

Malgré ces difficultés, beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, à l’image du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Ghana présentent un marché de la distribution en plein développement. Il suffit de voir la constante progression du chiffre d’affaires, ces dernières années, de la plateforme d’e-commerce Jumia pour s’en convaincre, même si cette société semble connaître actuellement des difficultés financières.

Autrement dit, et malgré les fantasmes de certaines entreprises, il n’y a pas « d’eldorado africain » où les marques rencontreraient immédiatement des consommateurs pour leurs produits, mais des opportunités de croissance à long terme pour des investisseurs avertis. En Afrique, comme ailleurs dans le monde, la politique « du coup de fusil » ne fonctionne pas.


Approche pays par pays

Compte tenu de la spécificité des différents marchés africains, certaines marques privilégient par ailleurs « une phase test » où le lancement de l’activité se fait dans un premier temps uniquement sur internet (vente directe en ligne ou par le biais d’une marketplace) ou en s’appuyant sur un partenaire local par le biais d’une joint-venture, d’un contrat de licence ou d’une franchise. Une fois que le modèle est validé par la marque dans le pays concerné et que les ventes sont aux rendez-vous, il est alors tout à fait possible d’envisager la création d’une filiale autonome et/ou de procéder à une prise de participation dans le capital du partenaire local.

En externalisant la phase de lancement d’un ou plusieurs magasins à des partenaires locaux ayant l’expérience du marché cible, les marques françaises et internationales peuvent ainsi limiter le risque financier lié à une nouvelle implantation, tout en testant le succès de la commercialisation de leurs produits.


 Le Sea Plaza à Dakar

Création de réseaux de franchise en Afrique

Malheureusement, le droit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires « OHADA » (dont de très nombreux pays d’Afrique francophone font partie) ne prévoit pas de régime particulier lié au contrat de franchise et les droits nationaux des pays francophones ne contiennent généralement que peu de dispositions spécifiques dans ce sens.

Le résultat est que de nombreux contrats de franchise conclus avec des franchisés africains ont comme loi applicable le droit du franchiseur (par exemple le droit français) dont les dispositions seront parfois mal connues des franchisés.

Il faut, malgré tout, souligner le rôle de l’Organisation africaine de la Propriété intellectuelle (OAPI) qui regroupe de nombreux pays africains francophones et qui permet, en cas d’enregistrement du contrat de franchise, d’assurer une certaine protection au franchisé quant aux droits d’utilisation de la marque sur un territoire donné.

Au niveau fiscal, et concernant plus particulièrement les relations entre un franchiseur français et un franchisé issu d’un pays d’Afrique francophone, il est intéressant de noter que de nombreuses conventions fiscales ont été conclues entre ces pays, permettant parfois de neutraliser l’effet d’éventuels droits, taxes ou retenues à la source, payables sur les redevances ou les autres flux financiers entre franchisé ou master franchisé et franchiseur.


L’essor de la grande distribution pour les producteurs locaux

Que ce soit en Afrique ou ailleurs dans le monde, la grande distribution a besoin d’acheter localement certains types de produits, comme les fruits et légumes ou les produits frais (œuf/viande/poisson), pour soutenir son modèle économique qui est de vendre des volumes importants à des prix compétitifs.


 L’arrivée de la grande distribution dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal devrait permettre de moderniser de nombreuses filières agricoles.

L’arrivée de la grande distribution dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal devrait permettre de moderniser de nombreuses filières agricoles dans la sous-région afin de répondre aux nouvelles exigences des consommateurs. Ces problématiques sont bien connues de tous et pour que les « opportunités » d’aujourd’hui aient une chance de se transformer en une réussite de demain, la question du financement a une place essentielle.

Le regroupement de producteurs en coopérative ou en association ne permet pas toujours de financer la modernisation des outils de production et/ou de transformation souvent indispensable pour vendre ses produits à la grande distribution. La grande distribution a, dans ce sens, indubitablement une responsabilité en participant au financement de ses circuits d’approvisionnement locaux.


Craintes de destruction d’emplois au niveau du petit commerce au détail

Les grandes enseignes qui s’installent sur le continent sont conscientes de l’absolue nécessité d’avoir un vivier de compétences locales – notamment à des postes-clés de l’entreprise – et de limiter au maximum le recours à des expatriés dans le cadre de leur développement africain.

S’il n’existe pas encore dans la majorité des pays d’Afrique francophone de législation contraignante sur le ‘’local content’’ qui serait applicable au domaine de la distribution et de l’industrie agroalimentaire, sur le modèle de ce qui peut se faire dans le domaine minier et pétrolier, les politiques volontaristes des grands groupes internationaux en la matière vont dans le sens d’un emploi 100% local. Dès lors, si l’apparition de chaînes de distribution sur le continent est susceptible de supprimer des emplois peu qualifiés, notamment au niveau des commerces de proximité, il faut souligner que de nouveaux postes beaucoup plus qualifiés et mieux rémunérés seront potentiellement à pourvoir dans l’industrie pour la jeunesse africaine.


Les plateformes d’e-commerce sont un exemple intéressant de coopération puisqu’elles s’appuient parfois sur des commerçants de proximité afin de permettre la livraison de leurs produits. Par ailleurs, le développement de franchises auprès de grandes enseignes internationales pour l’ouverture de petites supérettes et/ou supermarchés en ville ou dans des zones plus reculées est aussi une piste de collaboration à explorer dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant entre franchiseur et franchisé.


 

Charles Bourgeois, avocat au Barreau de Paris et cofondateur du cabinet Bourgeois Itzkovitch AARPI — Src: Agence Ecofin