PRIX NOBEL POUR LE PREMIER MINISTRE ETHIOPIEN


Issu d’un milieu très modeste, il ne découvre l’électricité qu’à 10 ans. Il est le Premier Ministre d’Ethiopie d’origine oromo. Et suscite autant d’espoirs que de jalousies.

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, en poste depuis le mois d’avril 2018, a pris le monde de court en annonçant des réformes majeures au risque, selon les analystes, de susciter de faux espoirs dans la population et de s’aliéner une partie de l’establishment.

Abiy, 41 ans, a ordonné la libéralisation de pans entiers de l’économie du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, décidé de mettre un point final au différend avec l’Érythrée et opéré un important remaniement de responsables sécuritaires.

 

Le nouveau Premier ministre a pris les rênes du pays à un moment où, selon de nombreux observateurs, la coalition au pouvoir depuis 1991, et à laquelle il appartient, s’est retrouvée dos au mur.

Confrontée au plus important mouvement de protestation en 25 ans, et à la mobilisation des deux principales ethnies du pays (oromo et amhara), le pouvoir a d’abord répondu par la répression (plus de 1.000 morts, un état d’urgence de 10 mois), avant de lâcher du lest, avec la démission du Premier ministre Hailemariam Desalegn en février, puis la nomination de M. Abiy.

Et même si ce dernier, Premier chef du gouvernement éthiopien issu de l’ethnie oromo, était perçu lors de sa nomination comme un rénovateur, peu d’observateurs s’attendaient au train de réformes des dernières semaines.


« C’est stupéfiant »

« Je m’attendais à des changements, mais seulement à pas comptés. Mais (des changements) si rapides, si profonds, c’est stupéfiant », reconnaît Pierre Lefort, chercheur indépendant sur l’Éthiopie.

Pour ce dernier, l’Éthiopie n’a pas connu de tels bouleversements – s’ils se concrétisent – depuis la prise du pouvoir du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) avec le renversement du régime dictatorial de Mengistu Hailé Mariam en 1991.

Abiy a annoncé l’ouverture au secteur privé du capital des grandes entreprises publiques du pays comme la compagnie aérienne Ethiopian Airlines ou Ethio Telecom, une inflexion majeure pour cette économie dirigiste.

De façon tout aussi surprenante, il a déclaré que l’Éthiopie respecterait désormais l’accord d’Alger de 2000, qui avait mis fin à la guerre avec l’Érythrée voisine (1998-2000).

Puis le Premier ministre a remplacé plusieurs hauts responsables dans l’armée et les renseignements.

« Ces gens font partie du système depuis bien trop longtemps et sont largement rendus responsables des problèmes (du pays) par la population », selon M. Awol..


« Redécouper le gâteau »

Lundi, des habitants de la ville de Badme, que l’Éthiopie continue d’occuper alors que le territoire a été attribué à l’Érythrée par une commission internationale indépendante, ont manifesté pacifiquement pour protester contre l’annonce de M. Abiy.

« Le point crucial à surveiller, c’est la capacité d’Abiy de surpasser l’inévitable déception ou sentiment de trahison au regard de la décision sur l’Érythrée », décrypte Christopher Clapham, de l’université britannique de Cambridge.

De même, le Premier ministre pourrait rencontrer de fortes résistances sur l’ouverture de l’économie aux investisseurs étrangers, les caciques de l’EPRDF étant largement perçus comme ayant des intérêts particuliers dans ces entreprises publiques qui sont au coeur de l’économie éthiopienne.

« Comment le gâteau sera-t-il redistribué parmi ces élites, à la faveur de la libéralisation? », interroge M. Lefort. « A quelle sorte d’ouverture avons-nous affaire, et au bénéfice de qui? La question demeure ouverte ».

Awol se veut pour sa part optimiste, estimant que M. Abiy bénéficie en l’état du soutien de la population et de la coalition qu’il dirige: « Il est en train de consolider son autorité, et cela avec le soutien de la population ».​