« LA MOITIÉ DE L’HUMANITÉ MANGE COURAMMENT OU OCCASIONNELLEMENT DES INSECTES » : POURQUOI PAS NOUS ?


Les insectes nous ont précédés depuis des millénaires, mais notre connaissance de ce monde, qui représente près de la moitié des êtres vivants, reste infime, car ils sont très difficiles à observer et à comptabiliser avec précision. Nous allons vivre cette contradiction étonnante : à l’heure où les insectes disparaissent massivement de la surface de la Planète, et avant même que nous ne fassions connaissance, l’élevage de quelques insectes jugés hyper productifs va se développer de façon considérable.

Tout va probablement se passer comme pour les mammifères : presque plus d’animaux sauvages ni de biodiversité, mais une multiplication des animaux domestiques, sur un tout petit nombre d’espèces d’insectes, et dans des usines fermées ! Triste monde à venir ?

Une des manières de limiter (un peu) les dégâts liés à la forte réduction de nombre d’insectes sur terre consisterait à les élever, tout comme on est passé sur terre de la chasse au sanglier et aux alouettes à l’élevage de cochons et de poules, et en mer de la pêche à l’aquaculture. Cette technique est encore balbutiante, mais son développement a maintenant vraiment démarré.

Insectes frits sur un marché de Bangkok en Thaïlande. © Takoradee, Wikimedia Commons, CC 3.0

La moitié de l’humanité mange couramment ou occasionnellement des insectes

Contrairement à ce qui se passe en Europe, dans de nombreux pays, on mange des insectes depuis des siècles, en général de façon traditionnellement artisanale, en les attrapant avec des filets à papillons ! On appelle cela l’entomophagie. Là, évidemment, l’activité d’élevage, artisanale ou industrielle va pouvoir se développer en terrain favorable. C’est le cas dans de nombreux pays asiatiques comme la Thaïlande ou la Chine.

On y mange des criquets, des sauterelles, des scarabées, des vers de bambou ou à soie, des grillons, des chenilles, des fourmis, etc. En Amérique, cette consommation est aussi courante dans des pays comme le Mexique ou la Colombie. En Afrique, on en trouve presque partout, au Cameroun, au Nigeria, au Burkina Faso, à Madagascar, etc., où on rajoute souvent les termites. Et les aborigènes d’Australie en mangent eux aussi depuis des milliers d’années.

À l’échelle de l’humanité, on considère que 2 milliards d’humains en consomment de façon régulière et 2 autres de façon occasionnelle. On a recensé jusqu’à 2 000 espèces consommées, allant jusqu’aux abeilles, guêpes, libellules, cigales, mouches, araignées et scorpions !  On estime qu’actuellement, ils représentent jusqu’à 20 % des protéines quotidiennes dans certaines communautés d’Amérique latine et d’Afrique.

Sandwich avec des chenilles de karité frites au Burkina Faso. © Rick Schuilling, Wikimedia Commons, CC by 3.0

Les insectes sont très efficaces pour fournir des protéines alimentaires d’excellente qualité

Le rapport de la FAO de 2013 estime ainsi que « les insectes représentent une bonne opportunité d’associer connaissances traditionnelles et science moderne afin d’améliorer la sécurité alimentaire partout dans le monde ».

Il faut se rendre compte que, en matière de protéines animales, la très grande majorité de la population du monde consomme des animaux à sang chaud, en particulier mammifères et oiseaux : vaches, zébus, moutons, chèvres, cochons, poulets, canards, lapins, etc. Malheureusement, ces animaux, qui se nourrissent essentiellement de végétaux, consacrent une bonne partie de leur ration alimentaire pour simplement se chauffer ! Les insectes, qui sont des animaux à sang froid, n’ont pas cet inconvénient.

De plus, ces mammifères doivent encore prélever largement sur leur nourriture pour fabriquer tout un tas d’organes qui ne servent à rien sur le plan de l’alimentation humaine : des poils, des plumes, des boyaux, des os, des crêtes, des pattes, des becs, etc. Là encore, les insectes, avec leurs exosquelettes, semblent plus efficaces, malgré leurs six pattes et parfois leurs ailes. On estime ainsi que 80 % de l’insecte est comestible, contre 55 % du poulet et seulement 40 % du bœuf et du cochon (où pourtant la publicité nous serine que « tout est bon !).

Au total, il faut de l’ordre de 13 à 15 kilos de végétaux pour produire un kilo de viande de bœuf, 6 kilos pour la viande de porc et 4 kilos pour le blanc de poulet, qui est probablement de ce point de vue un des animaux les plus efficaces. Pour les insectes, le chiffre se situe entre 1,2 et 2 pour un, soit une efficacité au moins 2 fois supérieure à celle du poulet, et 8 fois à celle du bœuf.

De plus, on peut souvent nourrir les insectes avec des déchets ou des sous-produits de l’agriculture. Par exemple, le célèbre ver de farine n’a pas vraiment besoin de manger de la farine complète, il peut très bien se contenter du son. Il est vrai que, si l’on passe à l’élevage massif d’insectes, on n’aura pas assez de son pour les nourrir tous et il faudra y consacrer parfois la farine entière, mais on a encore beaucoup de marge.

Au Cambodge, les mygales se sont révélées être une source de protéines prisée pendant la période des Khmers rouges, qui a vu près de deux millions de Cambodgiens mourir, souvent de malnutrition dans des camps de travail. © Matisa, Fotolia 

Autres exemples, des mouches peuvent être utilisées pour réduire les fumiers de bovins et lisiers de porcs et les transformer plus rapidement en engrais et protéines consommables. D’autres insectes peuvent accélérer la cicatrisation des plaies.

Cette différence considérable de productivité, au bénéfice de l’élevage d’insectes, se mesure aussi sur tous les facteurs de production de leur nourriture. Qui dit moins de nourriture, dit aussi moins de surface au sol, moins d’eau, moins d’engrais, moins de pesticides, moins d’énergie, etc.

Vers de farine. © Bartek, Adobe stock

Par exemple, il faut se souvenir que, pour faire pousser un kilo de céréales, il faut disposer d’environ une tonne d’eau. Produire des protéines animales avec 2, 4 ou 8 fois moins de céréales permet d’économiser considérablement l’eau. Or l’approvisionnement de ce liquide vital devient un facteur extrêmement crucial avec le réchauffement climatique, ce qui provoque la montée de conflits de plus en plus importants autour de la quantité d’eau qui est prélevée pour l’agriculture. 

Élevage de cochons en Chine, dans la ville d’Ezhou, à proximité de Wuhan. Capacité de production de 650 000 animaux par an sur 26 étages. © Capture d'écran Weibo

En matière de bâtiment d’élevage, le gain est considérable. Même sur les grandes concentrations de mammifères, dites par leurs détracteurs « élevages industriels », qui sont une véritable folie. On se souvient par exemple de cette porcherie de 650 000 porcs sur 26 étages inaugurée récemment en pleine ville chinoise, ou de l’explosion de méthane qui a entièrement détruit la ferme de 18 000 bovins aux États-Unis !

Ferme d'insectes. © Александра Гвардейце, Adobe stock

En matière d’élevage d’insectes, la concentration est de règle, pour les larves, on n’a même pas besoin d’éclairage, et même les défenseurs des animaux n’y voient pas de « maltraitance animale ». 

Rappelons que, d’ici à 2050, il faudra encore augmenter de 70 % la production de nourriture dans le monde, sans pouvoir augmenter beaucoup les surfaces qui y sont consacrées et avec des problèmes d’approvisionnement en eau de plus en plus aigus. La FAO a bien raison de penser que l’élevage d’insectes risque d’être un outil indispensable pour y arriver : « Une des nombreuses façons de répondre aux problèmes de la sécurité alimentaire humaine et animale est d’envisager l’élevage d’insectes. Les insectes sont partout et ils se reproduisent rapidement. Ils présentent, en outre, des taux de croissance et de conversion alimentaire élevés et ont un faible impact sur l’environnement pendant tout leur cycle de vie. Ils sont nutritifs, avec une teneur élevée en protéines, matières grasses et minéraux. Ils peuvent être élevés à partir des déchets organiques comme, par exemple, les déchets alimentaires. »

Barres chocolatées dopées aux protéines d’insectes. © Ynsect, tous droits réservés 

De plus, et il apparaît maintenant clairement que la chair des insectes est excellente pour la santé, car elle est très riche en protéines en acides gras (comparables à ceux des poissons) vitamines, minéraux et oligo-éléments. Par exemple, les chercheurs de l’université de Maastricht ont récemment estimé que les protéines de scarabées sont aussi bénéfiques que les protéines de lait. Toutes deux ont les mêmes performances en matière de digestion, de nutrition, d’absorption et de capacité à stimuler la production musculaire. Elles contiennent les neuf acides aminés essentiels, sont digérées efficacement par le corps humain et contribuent à réduire jusqu’à 60 % le cholestérol (« The American Journal of Clinical Nutrition », mai 2021).

De plus, à aujourd’hui, on n’a référencé aucun cas de transmissions de maladies ni de parasites aux humains via la consommation d’insectes. Ils provoquent néanmoins chez certains des allergies similaires à celles des crustacés, donc il faut les mêmes précautions d’usage vis-à-vis de cette catégorie de population.