LE DÉSASTRE DES FILETS DE PÊCHE PERDUS EN MER


Parue en octobre dernier dans la revue scientifique Science Advancesune nouvelle étude estime que près de 2% des engins de la pêche mondiale finissent au fond des océans. Au total, plus de 13 milliards d’hameçons et 16 millions de kilomètres de lignes de pêche sont perdus chaque année par les navires, de quoi faire près de 400 fois le tour de la Terre. Un constat alarmant pour les milliers de vies marines prisent au piège chaque année par les équipements fantômes de la pêche mondiale. 

Tous les jours, environ 4,6 millions de navires de pêche sillonnent les océans à la recherche de leurs prochaines prises. Au total, c’est plus de 170 millions de tonnes de vie marine récoltés chaque année, soit 5 400 kg par seconde. L’Espagne, Taïwan, le Japon, la Corée du Sud et la Chine concentrent à eux seuls plus de 85% des grands chalutiers industriels, de quoi rafler la mise d’une grande partie des trésors aquatiques de notre planète.

Des milliers de vies marines sont prisent au piège chaque année par les équipements fantômes de la pêche mondiale

Cette machinerie grouillante n’est pas sans heurts pour les populations aquatiques. Défaut d’entretien, conditions météorologiques laborieuses, simples erreurs humaines ou dégradations volontaires,… Chaque année, des quantités colossales d’équipements de pêche finissent au fond des océans, entraînant des dégâts considérables pour la vie marine. 

13 milliards d’hameçons perdus chaque année dans les océans

Près de 2 % de tous les engins de pêche, comprenant 2 963 km2 de filets maillants, 75 049 km2 de sennes coulissantes, 218 km2 de chaluts, 739 583 km de palangres principales et plus de 25 millions de casiers et de pièges, sont perdus ou abandonnés dans l’océan chaque année. « Ensemble, ces estimations représentent l’examen le plus complet et le plus contemporain des quantités d’engins de pêche abandonnés, perdus ou mis au rebut dans le monde à ce jour », estime la scientifique.

Au delà de la masse totale que ces déchets constituent, ce qui inquiète les chercheurs est surtout le danger que ces équipements fantômes représentent pour la vie aquatique. Pensés pour tuer, ces objets accomplissent encore leur mission funeste parfois des mois voire des années après avoir été abandonnés au fond des océans. « Ce n’est pas tant la masse que cela représente, sans doute 10% du total des plastiques déversés dans les océans, qui pose le plus de problèmes, mais la nature de ces déchets », confirme François Galgani, océanographe et spécialiste des pollutions océaniques à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) de Tahiti au journal suisse Le Temps.

Un requin marteau pris dans un filet, dans la mer de Cortez (Mexique) — © Mark Conlin/VW PICS/UIG via Getty Image

Victimes sans distinction

Ce sont alors des poissons, des baleines, des requins, des dauphins, des tortues ou encore des oiseaux marins parfois protégés qui sont capturés par ces filets ou ces hameçons à la dérive. « Par exemple, avec un déclin de 71 % des populations mondiales de requins et de raies au cours du dernier demi-siècle, les menaces pesant sur les populations de requins peuvent être sérieusement exacerbées par les piqûres d’hameçons à la palangre et les requins s’enchevêtrant dans les filets perdus ».

En outre, ces vies animales sacrifiées posent également un problème de sécurité alimentaire. « Vous attrapez alors aussi tout un tas de poissons mais vous ne les mangez pas. Cela devient un problème de sécurité alimentaire parce que ce sont des protéines qui ne nourrissent pas les gens dans le monde », estime l’auteur de l’étude, notamment pour les régions du monde où la pêche artisanale est nécessaire à la survie biologique et économique de la population.

Les résultats de l’étude permettent à Kelsey Richardson de conclure que les engins de pêche abandonnés, perdus ou mis au rebut sont un contributeur majeur à la pollution des océans, avec des impacts sociaux, économiques et environnementaux considérables, notamment du  fait de l’exacerbation des pressions existantes dues à la surpêche, au déclin des stocks de poissons et au changement climatique.

Recycler et dégrader

Pour lutter contre la présence massive et dangereuse d’équipements de pêche dans les océans, des solutions existent déjà ou sont en phase de développement. Citons notamment le traçage des filets de flotte ou le recyclage des équipements de pêche en plastique, pour en faire par exemple des vêtements ou des montures de lunettes.

Des scientifiques se penchent également sur la création de filets de pêche biodégradables, notamment promue par une directive européenne concernant les matières plastiques dans l’économie circulaire. C’est le cas par exemple de six institutions de recherche et quatre partenaires industriels qui se sont regroupés au sein du projet INdIGO pour assurer le développement et l’adoption d’un nouveau filet biodégradable par les professionnels de la pêche et de l’aquaculture.