LA MÉDECINE TRADITIONNELLE CHINOISE, PILIER DU « SOFT POWER » DE PÉKIN EN AFRIQUE


Présente dans le volet sanitaire des « nouvelles routes de la soie », la diffusion de ces soins et produits se matérialise notamment par le déploiement de centres de coopération scientifique et médicale.

L’Hôpital du Mali, inauguré en 2010 sur la rive droite du fleuve Niger, dans la banlieue de Bamako, est parfois appelé « l’hôpital chinois ». Quelques pas à l’intérieur du hall d’entrée suffisent à comprendre pourquoi. La signalétique en mandarin rappelle que tous les éléments de construction de cet établissement de 150 lits sont arrivés directement de Chine, qui a fait don de l’établissement ainsi que de matériels et de médicaments.

Mais la contribution chinoise à ce fleuron du système de soins malien ne s’arrête pas là. En déambulant dans les services, on croise plusieurs médecins asiatiques qui proposent des soins de médecine traditionnelle chinoise (MTC) – dont l’acupuncture, utilisée principalement dans la prise en charge de la douleur.

Ailleurs en ville, on trouve des « cliniques » de médecine chinoise, appartenant à des entrepreneurs privés cette fois-ci, qui attestent de la popularité de ces soins et produits parmi les habitants de la capitale. Bamako est loin d’être une exception sur le continent, la MTC étant présente dans de nombreuses métropoles africaines.

Des bourses et des formations

La santé est depuis des décennies un des piliers de la politique extérieure de Pékin. « L’implantation de la MTC est souvent le reflet de liens historiques entre la Chine et les Etats. On la retrouve de manière plus marquée dans les pays où les missions médicales chinoises ont été implantées, à partir des années 1960 », analyse Xavier Aurégan, maître de conférences en géopolitique à l’Université catholique de Lille. Au Mali, la première mission médicale chinoise s’est implantée à cette période dans la région de Ségou.

Depuis, l’implication chinoise dans le paysage sanitaire africain a pris différentes formes, avec récemment des investissements importants dans de grands chantiers liés à la santé, comme la construction, qui vient de s’achever, du bâtiment du Centre de contrôle et de prévention des maladies de l’Union africaine (CDC Afrique), à Addis-Abeba.

Présente dans le volet sanitaire des « nouvelles routes de la soie », la diffusion de la MTC se matérialise par la mise en place de centres de coopération scientifique et médicale, appelés « ateliers Luban ». Le déploiement d’une dizaine de ces ateliers, censés permettre à des milliers d’étudiants africains de suivre des parcours de qualification professionnelle, était l’une des huit initiatives présentées en septembre 2018 par le président chinois, Xi Jinping, lors du Forum sur la coopération sino-africaine, à Pékin.

Le centre de Bamako a été inauguré peu avant le début de la pandémie de Covid-19, fin décembre 2019. « Durant les mois qui ont suivi, la Chine a été très présente sur le volet sanitaire, notamment en proposant des produits et soins de MTC pour prendre en charge les patients contaminés par le SARS-CoV-2, rappelle Xavier Aurégan. C’était aussi un moyen de lutter contre le sentiment antichinois que l’origine du virus tendait à nourrir. » Quatorze ateliers Luban auraient depuis été déployés, de la Côte d’Ivoire à Madagascar en passant par l’Ethiopie et le Kenya.

En plus des médecins envoyés par Pékin et des expatriés qui travaillent en tant qu’entrepreneurs privés, la MTC est aussi de plus en plus pratiquée par des médecins ou tradithérapeutes africains. Certains ateliers Luban, tout comme les instituts Confucius présents sur de nombreux campus africains, offrent des formations à la MTC, comme à l’université du Cap-Occidental, en Afrique du Sud.

Mais la Chine offre aussi régulièrement des bourses afin de permettre à des Africains d’aller se former sur son sol. Une manière, pour un certain nombre de tradithérapeutes locaux, de diversifier leur offre de soins et d’élargir leur clientèle. La MTC est un marché florissant et pas uniquement sur le continent : en 2018, elle aurait rapporté 50 milliards de dollars dans le monde, le pays le plus consommateur en dehors de la Chine étant… les Etats-Unis.

Diabète, hypertension, paludisme…

La MTC serait-elle en train de concurrencer les médecines traditionnelles africaines ? « Il est tentant d’opposer les médecines traditionnelles chinoises et africaines, mais il paraît plus juste de les voir comme deux modalités parmi d’autres, qui cohabitent dans l’offre de soin locale et qui ne ciblent pas forcément les mêmes personnes », souligne Elisabeth Hsu, professeure d’anthropologie à l’université d’Oxford et autrice de l’ouvrage Chinese Medicine in East Africa (ed. Berghahn, 2022, non traduit).

Rare spécialiste du sujet, elle a nourri sa recherche par des séjours répétés en Tanzanie, au Kenya et en Ouganda. Selon ses observations, la MTC attire des clients de tous âges mais plutôt masculins, de la classe moyenne, qui vivent dans la périphérie urbaine et qui consultent pour un large éventail de maladies, du diabète à l’hypertension en passant par le paludisme, où l’efficacité de la pharmacopée chinoise a fait ses preuves. L’attribution en 2015 du prix Nobel de médecine à Tu Youyou, directrice de recherche à l’Académie de médecine traditionnelle chinoise, pour la découverte de l’artémisinine, un puissant antipaludéen, a d’ailleurs contribué à renforcer la confiance de beaucoup dans la MTC.

« On parle de manière large de la MTC, mais beaucoup de personnes qui vont dans ces cliniques ne savent pas vraiment ce qu’elles achètent en réalité. Et on peut y trouver beaucoup de choses ! Des remèdes de la pharmacopée traditionnelle chinoise comme des médicaments de médecine occidentale, mais fabriqués en Chine », note Elisabeth Hsu, qui pointe le fait que les médecins chinois se sont en particulier implantés dans la médecine reproductive, « un domaine dans lequel la médecine occidentale affiche un faible taux de réussite ». De nombreux remèdes vendus dans les « cliniques » promettent ainsi d’améliorer la fonction sexuelle et la fertilité.

« Lors d’un de mes séjours à Bamako, j’ai observé la boutique d’un praticien de MTC installé en face de mon hôtel. Il ne vendait quasiment que des produits pour les hommes, aux emballages très explicites, et sa boutique ne désemplissait pas ! Pour beaucoup d’hommes, il est plus simple d’aller voir le praticien chinois, qui ne dira jamais rien à personne, plutôt que le tradithérapeute du quartier, qui connaît sans doute des amis ou de la famille », illustre Xavier Aurégan.

Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la menace que font peser certains ingrédients de la pharmacopée traditionnelle chinoise sur la flore et la faune. Pangolins, rhinocéros et tigres, par exemple, restent chassés principalement pour l’utilisation de certains de leurs organes ou phanères (poils, plumes, écailles…) dans des « remèdes » de MTC.


Par Stéphany Gardier © Le Monde Afrique