AU SÉNÉGAL, DES MESURES FORTES ANNONCÉES APRÈS L’ACCIDENT TRAGIQUE DE KAFFRINE


Manque de centres de contrôle technique, vétusté du parc automobile, importation de pneus usagés, non-respect du Code de la route : la mort de 39 personnes dans une collision de bus secoue le gouvernement.

Avec un bilan s’élevant officiellement à 39 décès et 101 blessés, dont des cas graves, la collision survenue entre deux bus autour de 3 heures du matin (heure locale), dimanche 8 janvier à la hauteur du village de Sikilo, dans la région de Kaffrine (dans le centre ouest du Sénégal), est l’accident le plus meurtrier de ces dernières années au Sénégal. Axe très fréquenté, la route nationale numéro 1 est située sur le corridor Dakar-Bamako. « Profondément attristé par ce tragique accident routier », le président de la République Macky Sall a décrété trois jours de deuil national à compter de lundi. Le même jour, le premier ministre Amadou Ba a tenu un conseil interministériel en urgence afin d’adopter des « mesures fermes sur la sécurité routière et le transport public des voyageurs ».

« On ne peut pas exposer la vie de nos compatriotes dans un système de transport qui fait fi du respect de la vie humaine », a affirmé Macky Sall. Réunis dans la soirée de lundi, les acteurs du secteur des transports ont approuvé 23 mesures urgentes pour améliorer la sécurité routière.

Parmi elles, la création dune structure chargée d’appliquer le Code de la route, l’interdiction de circuler des véhicules de transport public de voyageurs sur les routes interurbaines entre 23 heures et 5 heures, la limitation de la durée d’exploitation à dix ans pour les véhicules de transport de personnes et de quinze ans pour les véhicules de marchandises, l’interdiction de l’importation des pneus usagés, le contrôle technique gratuit à Dakar pour les véhicules de transport et de marchandises ou encore l’ouverture de centres de contrôle technique dans les régions. Actuellement, il n’y a qu’un centre de contrôle technique moderne, situé à Dakar, pour tout le pays. « Nous attendons désormais l’arrêté ministériel pour l’application. Certains points demandent un délai mais d’autres mesures pourront être mises en place immédiatement », précise Gora Khouma, secrétaire général de l’Union des transporteurs routiers.

Application aléatoire

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 27 000 personnes sont victimes d’accidents sur la voie publique chaque année au Sénégal, dont 11 000 à Dakar. Entre 2015 et 2019, les accidents routiers ont occasionné en moyenne 644 décès chaque année selon l’ONG Partners West Africa. Ces accidents seraient à 90 % dus au comportement des conducteurs : vitesse, négligence, imprudence et non-respect du Code de la route sont les premiers facteurs pointés. Le manque de formation des chauffeurs de transports en commun publics, les faux permis, l’application aléatoire des sanctions prévues par le Code de la route ainsi que le laxisme des contrôles techniques sont aussi en cause.

Egalement vivement décriée, la vétusté du parc automobile, bien réelle. « Tous les transports publics sont vétustes. Ce sont des véhicules d’occasion, souvent vieux de plus de trente ans, parfois déclassés car ne respectant plus les normes dans leur pays d’origine. Et malgré leur état dégradé, ils restent en circulation pendant des années », explique Modou Kane Diao, secrétaire général du Fonds de développement des transports terrestres (FDTT).

D’après les premiers éléments de l’enquête sur l’accident de Kaffrine, l’éclatement d’un pneu serait à l’origine du drame. C’est en effet l’une des causes récurrentes des accidents de la route au Sénégal. La majorité des pneus dits neufs ne seraient en réalité pas homologués : le plus souvent importés d’Europe, ils sont plus ou moins usés et leurs conditions d’utilisation ne sont pas respectées. En plus de leur usure, ils sont soumis à un surpoids excessif. Les bus transportent souvent plus de passagers qu’autorisé tandis que des porte-bagages, rajoutés, sont chargés à l’excès. L’état des routes, notamment le manque de signalisation et d’éclairage, est aussi un facteur, même si, « depuis ces dernières années, il y a eu une importante modernisation des infrastructures routières », appuie Babacar Gaye, administrateur général du FDTT.

« Assainir le secteur »

Le drame de Kaffrine a provoqué une vive émotion au sein de la population, mais aussi un sentiment de colère. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les promesses faites mais jamais suivies d’effets et les propositions de lois jamais adoptées. Après l’accident de Kébémer en 2017 (25 morts), le ministre des infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement avait ainsi annoncé l’instauration du permis à points. La mesure n’est toujours pas effective dans le pays. « Le gouvernement n’applique pas les accords pourtant signés. Mais, avec l’accident de Kaffrine, il est obligé de répondre à la demande nationale. Il faut assainir le secteur et le réguler, c’est sa responsabilité ! La vie humaine n’a pas de prix, l’Etat doit dégager les moyens nécessaires », soutient M. Khouma.

Malgré les retards conséquents, un plan national de sécurité routière (PNSR), intégré au Plan Sénégal Emergent (PSE), a été adopté pour la période 2021-2030 avec l’objectif de réduire de 50 % le nombre de décès et de blessés graves dans les accidents de la route. En novembre 2021, le pays s’est enfin doté d’une Agence nationale de la sécurité routière (ANASER). Mais la structure, toute récente, dispose de peu de moyens pour mener à bien ses missions. Son renforcement fait d’ailleurs partie des mesures adoptées pendant le conseil interministériel de ce 9 janvier.

Enfin, jusqu’à présent les moyens faisaient défaut pour assurer le renouvellement du parc automobile. La création du FDTT, en juillet 2020, souhaite accélérer cette dynamique avec le dépôt en fourrière de plus de 45 000 véhicules vétustes d’ici à 2028. Le coût de ce renouvellement, pris en charge par l’Etat, est estimé à 1 200 milliards de francs CFA (plus d’1 milliard d’euros).


Par Mariama Diome, Dakar, correspondance © LE MONDE AFRIQUE