« EN AFRIQUE DE L’OUEST, LE CARTEL DU CACAO RISQUE D’ÉCHOUER À TRANSFORMER LA VIE DES PETITS PLANTEURS »


La Côte d’Ivoire et le Ghana exigent des acheteurs de fèves qu’ils rémunèrent mieux les cacaoculteurs. Mais le problème tient largement à la surproduction.

« Aimez le chocolat à fond, sans complexe ni fausse honte », prêchait au XVIIe siècle le moraliste François de La Rochefoucauld. Quatre siècles plus tard, la consommation de chocolat suscite encore souvent un plaisir coupable. Par peur des excès (surtout à l’approche de Noël), mais aussi pour des raisons éthiques, tant les travers de cette industrie sont aujourd’hui bien connus.

Des travailleurs vérifient des échantillons de cacao, au port d’Abidjan. PHILIPPE LISSAC/GODONG/PHOTONONSTOP

En Côte d’Ivoire comme au Ghana (60 % de la production mondiale de cacao), la culture de l’or brun s’est faite au prix d’une déforestation massive et en s’appuyant sur le travail des enfants. La filière génère des milliards de dollars, mais les cacaoculteurs, premiers maillons de la chaîne, se débattent dans la précarité.

La Côte d’Ivoire compte près de un million de planteurs. On estime que plus de la moitié vit sous le seuil de pauvreté, fixé par la Banque mondiale à 2,15 dollars (2,03 euros) par jour. A cette aune, comment pourraient-ils encaisser la montée en flèche du prix des intrants provoquée par la guerre en Ukraine ?

Obtenir gain de cause

Leur condition devait pourtant s’améliorer. C’est, du moins, ce que leur avaient promis les autorités ivoiriennes et ghanéennes en 2018. Les deux voisins d’Afrique de l’Ouest avaient alors décidé d’unir leurs forces, un peu à la manière de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Il s’agissait de faire front pour augmenter les rémunérations des cacacoculteurs en obligeant les multinationales à verser une prime de 400 dollars par tonne de cacao (le « différentiel de revenu décent », DRD).

La plupart des grands chocolatiers ont salué ce plan, mais, dans le même temps, ils ont diminué, voire cessé de payer, une autre prime censée récompenser la qualité des fèves (le « différentiel d’origine »), annulant l’effet du DRD. Ce tour de passe-passe a ulcéré Abidjan et Accra. En novembre, les acheteurs ont été sommés de corriger la situation ou d’en assumer les conséquences, en se voyant, par exemple, privés d’accès aux plantations. Lire aussi l’entretien : Crise du cacao : les producteurs ivoiriens et ghanéens estiment « avoir été entendus »

Les pays producteurs affirment pouvoir obtenir gain de cause et se réjouissent tout haut de la volonté affichée par le Cameroun et le Nigeria de rejoindre leur initiative. Il ne faut cependant pas se leurrer : en Afrique de l’Ouest, le cartel du cacao risque d’échouer à transformer la vie des petits planteurs. A la différence de l’OPEP, qui n’hésite pas à fermer le robinet à pétrole quand il faut soutenir les prix, les cacaoyers ne peuvent être mis à l’arrêt le temps d’un bras de fer avec les chocolatiers.

Il ne s’agit d’ailleurs pas de la première guerre du cacao, et la plus célèbre d’entre elles s’est plutôt mal terminée pour son instigateur. A l’été 1987, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny décrétait un embargo sur les exportations dans l’espoir de faire remonter des cours en pleine déconfiture. Las, le chef de l’Etat s’était finalement résolu à brader les centaines de milliers de tonnes de fèves qu’il stockait depuis près de un an et demi, sans avoir réussi à tordre le bras des acheteurs.

Une offre plus qu’abondante

A l’époque, la surproduction régnait sur les marchés. Aujourd’hui encore, la faiblesse des prix tient à une offre plus qu’abondante. « Le cacao est sous-valorisé, car il y en a trop. Les pays veulent produire plus pour avoir plus de revenus mais, à la fin, ce sont les cultivateurs qui perdent », résume l’agronome tropical Michiel Hendriksz, ancien tradeur en matières premières reconverti en directeur de l’ONG suisse FarmStrong. Quand bien même « l’OPEP du cacao » parviendrait à faire monter provisoirement les prix, le risque serait de stimuler encore la production, alimentant le cercle vicieux. Lire aussi la chronique : Article réservé à nos abonnés « Le cacao, pour quelques cacahuètes de plus »

De leur côté, les entreprises chocolatières développent pour les planteurs, à grands frais et à grand renfort de communication, des programmes d’aide bien intentionnés mais globalement insuffisants. « Si on veut améliorer leurs moyens de subsistance, il faut d’abord s’intéresser à leur santé, à l’enregistrement de leurs enfants à l’état civil, au développement d’un cadastre, énumère M. Hendriksz. Et, surtout, ne pas les encourager à cultiver davantage de cacao. » En somme, comprendre que l’or brun porte fort mal son nom pour les premiers concernés.


Par Marie de Vergès © LE MONDE AFRIQUE