CULTURES INONDÉES, VILLAGE DÉTRUIT… LE BÉNIN FACE AU CHAOS CLIMATIQUE


Le Bénin est régulièrement en proie à d’importantes inondations. Habitations écroulées, pêche et agriculture en berne… À Sô-Ava, les habitants subissent de plein fouet les effets du changement climatique.

Immergés jusqu’au torse dans une eau marron, une dizaine d’hommes assemblent d’épaisses tiges de bambou sous un soleil écrasant. Au bord de cet étroit bras de rivière, le reste du groupe ajuste à la machette les morceaux de bois entre deux gorgées de Sodabi, une eau-de-vie locale à base de vin de palme. « C’est pour donner de la force et du courage. Tous les hommes du village ont été convoqués pour reconstruire le pont détruit par les inondations, il leur faut du carburant », sourit Noël Agossou, le jeune chef du village d’Hêni dans la commune de Sô-Ava, au Bénin.

Pêcheurs sur le lac Nokoué. © Yannick Folly / Reporterre

Située à une vingtaine de kilomètres de Cotonou, cette cité lacustre de 110 000 habitants sort tout juste, en cette fin novembre, d’un nouvel épisode d’inondations. Le onzième en douze ans. Et cette année le niveau de l’eau a atteint des records. « Dans ma maison, j’avais de l’eau jusqu’à la taille. Je rentrais chez moi en pirogue, je vivais sur des échafaudages. L’eau a emporté tout ce que j’avais », raconte Rosaline Kiki à l’intérieur de sa hutte sur pilotis. Autour d’elle, 1 habitation sur 2 est penchée à cause de la montée des eaux. Certaines sont complètement détruites. « On ne sait plus quoi faire. On augmente sans cesse la hauteur des maisons, mais ça ne suffit pas », déplore la native de la commune.

© Louise Allain / Reporterre

Ici, au bord de la rivière Sô, la vie des habitants est depuis toujours rythmée par les crues annuelles qui montent chaque saison des pluies. Les habitations sont surélevées, l’agriculture et la pêche, les principales activités de la commune, sont organisées autour de ce phénomène naturel. Mais depuis quelques années, il est devenu imprévisible. « Avant, on savait quand la crue allait arriver et l’eau atteignait un niveau exceptionnel qu’une fois tous les cinquante ans. Maintenant, ce n’est plus des crues, mais des inondations qui frappent sans prévenir. Tous les ans, le niveau de l’eau est anormalement élevé. La nature change, on est perdu », analyse Martin Agossou, un ancien du village, âgé de 70 ans.

Une case écroulée lors des dernières inondations. © Yannick Folly / Reporterre

Des récoltes perdues

« C’est indéniable, on assiste à un dérèglement climatique », précise le climatologue béninois Expédit Vissin. Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) explique que le changement climatique, en perturbant le cycle de l’eau, augmente la probabilité de précipitation extrême et l’ampleur des crues fluviales. C’est exactement ce qui se passe au Bénin, selon le chercheur de l’université d’Abomey-Calavi. Ces dernières années, les pluies sont devenues irrégulières et plus intenses dans le pays. « Au lieu de s’étaler sur quatre mois pendant la grande saison pluvieuse, les précipitations peuvent se concentrer sur deux mois. Résultat, les sols sont trop secs pour absorber l’eau et les rivières débordent », explique l’universitaire. 

Vivant en partie sur l’eau, les habitants de Sô-Ava sont donc en première ligne de ce changement climatique qui affecte tous les pans de la vie quotidienne. La santé par exemple. Quand l’eau monte trop, les fosses septiques des latrines publiques débordent. De la matière fécale se répand alors dans toute la commune, ce qui entraîne chaque année des épidémies de choléra. Mais c’est surtout l’activité économique qui est profondément lésée. Deux années de suite, Laurent Hounyèmè a perdu l’intégralité de ses récoltes de tomates et de pommes de terre à cause des intempéries. Comme tous les agriculteurs ici, le paysan de 60 ans sème entre la grande et la petite saison des pluies pour profiter d’une irrigation naturelle sans noyer ses plantations.

L’activité économique est profondément lésée. © Yannick Folly / Reporterre

Mais plus rien ne fonctionne comme avant. « La pluie est devenue complètement aléatoire. Soit elle ne vient pas, soit c’est l’inondation. Cette année par exemple, il a beaucoup trop plu pendant la petite saison où les pluies sont censées être légères. Tout a été noyé, j’ai tout perdu », soupire-t-il. Pour faire face au changement de climat, la solution selon lui serait d’investir dans un forage équipé d’une pompe pour cultiver en pleine saison sèche, quand il ne pleut jamais. Il serait ainsi maître de l’irrigation et à l’abri des inondations. Mais ces équipements sont coûteux, très peu de paysans ici peuvent se les offrir. 

« La pluie est devenue complètement aléatoire. » © Yannick Folly / Reporterre

« Ils s’en foutent de nous »

Du côté des pêcheurs aussi l’activité tourne au ralenti depuis plusieurs années. Dans le filet artisanal d’Ambroise Hodonou, les poissons sont de plus en plus rares. La faute à des crues qui arrivent et repartent bien trop rapidement. Les poissons profitent de cette période pour pondre leurs œufs dans les herbes recouvertes d’eau. Une étape indispensable pour le renouvellement des réserves qui, cette année, n’a duré qu’un mois et demi au lieu des trois habituels. « Le cycle n’est pas respecté. On n’a pas de poissons », explique-t-il en équilibre sur sa pirogue. 

Ajouté au phénomène de surpêche qui menace les stocks dans la région, l’activité est de moins en moins viable pour le pêcheur de 40 ans. « Avant, nos parents vivaient à l’aise. À l’époque, j’allais à la pêche avec mon papa. On pêchait jusqu’à remplir les seaux. On n’arrivait même pas à tout manger, on donnait aux frères, aux proches. Maintenant, même manger c’est tout un problème. On se demande comment vont faire nos enfants », s’inquiète-t-il. Selon lui, les responsables de ce déclassement, ce sont les pays riches, pollueurs, « qui ne pensent qu’au développement de la science sans se soucier des conséquences »« Eux, ils sont déjà à l’aise, ils s’en foutent de nous. Mais quand ils commettent des actes là-bas, il faudrait qu’ils pensent aussi que tout le monde n’est pas à leur niveau. Nous, on subit », s’emporte-t-il. 

Un pêcheur à So-Ava. © Yannick Folly / Reporterre

« Il faut qu’on se prenne en charge »

Selon la Banque mondiale, l’Afrique n’est responsable que de 3,8 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais à l’image de Sô Ava, c’est sur ce continent que les conséquences du changement climatique sont parmi les plus sévères. Un constat mis en avant par plusieurs chefs d’État africains lors de la COP27 en novembre, qui s’est d’ailleurs conclu sur un accord visant à fournir un financement des pertes et préjudices aux pays vulnérables. Une promesse de fonds qui ne convainc pas le climatologue Expédit Vissin, déjà désabusé par les multiples promesses jamais tenues des précédentes COP.

© Yannick Folly / Reporterre

Selon lui, les solutions ne viendront pas des grandes puissances, mais des pays africains. « C’est à nous de nous unir pour faire émerger des solutions. Les pays riches ont aussi leurs problèmes, pourquoi ils s’occuperaient de nous ? Il ne faut pas tout attendre d’eux, argumente-t-il. Et puis, de l’argent d’accord, mais on va faire quoi avec ? Il faut une vision politique, qui n’existe pas pour le moment. »

Lui pointe aujourd’hui du doigt la responsabilité des autorités africaines. Au Bénin, il estime qu’aucune action politique ne s’attaque au problème du changement climatique. « Les municipalités gèrent les problèmes du quotidien, mais personne ne fait appel à des chercheurs pour, par exemple, mettre en place des plans de prévention ou réduire l’effet des inondations. Pourtant, les compétences scientifiques sont là, dans le pays. On a des résultats dans nos laboratoires. Mais on ne bouge pas parce que le pouvoir politique ne le permet pas », se désole-t-il. 

Brigitte Bonou, du collectif des organisations de la société civile de Sô-Ava. © Yannick Folly / Reporterre

Brigitte Bonou, du collectif des organisations de la société civile de Sô-Ava, partage la même analyse. « Il faut arrêter d’être là, la main tendue et dire que c’est de la faute des autres. Il faut qu’on se prenne en charge », plaide-t-elle. Elle juge aussi l’action politique bien trop faible face à l’importance des enjeux. À Sô-Ava par exemple, de l’aveu même de la mairie, la ville s’appuie surtout sur les actions des nombreuses ONG présentes dans le pays. Faute de moyens financiers, affirme le maire.

Alors, depuis plusieurs années, Brigitte Bonou organise la riposte avec son collectif. Un peu partout dans la commune, ils ont par exemple installé des balises pour prévenir la population du niveau de la crue. Pour développer une agriculture plus en phase avec ce milieu en pleine transformation, ils travaillent avec les agriculteurs à la mise en place de systèmes d’irrigation d’eau assainie et mènent des études de terrain avec un laboratoire pour sélectionner de nouvelles semences plus adaptées. Et pour peser dans les décisions politiques, le collectif a créé un cadre de concertation avec la mairie, indispensable selon Brigitte Bonou pour apporter des solutions sur le long terme et « porter la voix de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer »


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