LE MÉTHANOL, UNE PISTE DANS L’AFFAIRE DE LA MORT DE 21 JEUNES DANS UN BAR D’AFRIQUE DU SUD, RETROUVÉS SANS BLESSURE APPARENTE


Des analyses toxicologiques indiquent la présence, dans le sang des victimes, de ce produit parfois utilisé dans la fabrication d’alcool de contrefaçon.

Après plus de trois semaines d’attente et de rumeurs, les familles des 21 adolescents mystérieusement décédés dans un bar d’East London, en Afrique du Sud, le 26 juin, ont peut-être enfin une piste à laquelle s’accrocher. D’après les autorités sud-africaines, les résultats préliminaires des analyses toxicologiques ne révèlent pas de taux d’alcool mortel ni d’empoisonnement au monoxyde de carbone. Ils indiquent en revanche la présence de méthanol dans le sang des victimes, un produit toxique parfois utilisé dans la fabrication d’alcool de contrefaçon.

« Normalement, on trouve [le méthanol] dans les produits industriels. Il peut être présent en très petite quantité dans l’alcool, mais pas au point de le retrouver dans le sang. Ce que nous voulons savoir maintenant, c’est dans quelle quantité il est présent », a déclaré le docteur Litha Matiwane, directeur adjoint des services de santé de la province du Cap-Oriental, à l’issue d’une conférence de presse, mardi 19 juillet. Les autorités attendent les résultats définitifs des analyses avant de confirmer une éventuelle intoxication et ne donnent pas d’indications sur la provenance de la substance retrouvée chez les victimes.

Incolore, le méthanol est utilisé comme pesticide ou comme solvant dans la peinture, les vernis, les colorants… On le retrouve également dans certains produits ménagers. Hautement toxique, il peut entraîner une défaillance respiratoire ou cardiaque en cas d’ingestion ou d’inhalation. Moins cher que l’éthanol, il est parfois utilisé dans la fabrication d’alcool de contrefaçon. Dans les premiers mois de la pandémie de Covid-19, en 2020, près d’une dizaine de personnes sont décédées après avoir consommé de l’alcool frelaté en Afrique du Sud.

« Ça va tuer », promettaient les organisateurs

Le 25 juin, une centaine de jeunes s’étaient retrouvés dans la taverne Enyobeni, à Scenery Park, un township de la banlieue d’East London, au bord de l’océan Indien. Les examens venaient de se terminer, c’était le temps des vacances. L’annonce de la soirée célébrant l’anniversaire d’un DJ avait largement circulé sur les réseaux sociaux. « Kuzofiwa », promettaient les organisateurs – « ça va tuer », en langue xhosa. Au petit matin, la police retrouve les corps inanimés d’une vingtaine de jeunes, éparpillés au sol et sur les tables, sans blessures apparentes. Dix-sept victimes sont déjà mortes, quatre décéderont à l’hôpital. La plus jeune a 13 ans, la plus âgée 17.

Les survivants du drame ont été traités pour des maux de tête, des vomissements, des douleurs à la poitrine et des troubles visuels. Les symptômes pourraient correspondre à un empoisonnement au méthanol. Au lendemain du drame, certains rescapés ont également décrit des scènes de panique. Les videurs auraient refermé les portes de l’établissement sur les adolescents qui tentaient de sortir, en les aspergeant de gaz. Certains évoquent du gaz lacrymogène, d’autres un gaz au poivre. Tous racontent des gens suffoquant autour d’eux. Les autorités ont écarté la piste d’une bousculade mortelle provoquée par un mouvement de foule.

« La faute incombe à ceux qui font de l’argent sur les rêves et l’avenir des jeunes Sud-Africains en leur vendant de l’alcool illégalement », a dénoncé le président Cyril Ramaphosa au cours de funérailles nationales, le 6 juillet. La tragédie a bouleversé les Sud-Africains, qui réclament plus de contrôles des tavernes informelles. Les townships en particulier regorgent de « shebeens », ces minuscules bars pas toujours déclarés. Les jeunes y sont de bons clients dans un pays où deux sur trois sont au chômage entre 15 et 24 ans. Les parents s’inquiètent de l’insécurité qui y règne. Depuis le drame d’Enyobeni, plusieurs fusillades visant des bars ont fait au moins 21 morts dans le pays.


Par Mathilde Boussion(Johannesburg, correspondance) © LE MONDE AFRIQUE