« LES PAYS AFRICAINS DOIVENT ACCORDER PLUS D’ATTENTION À LEUR SECTEUR AGRICOLE »


Dans sa chronique, Marie de Vergès, journaliste au « Monde Afrique », rappelle que l’Afrique, victime collatérale de la guerre en Ukraine, est le continent où la consommation de blé croît le plus vite. Les gouvernements africains, ayant favorisé l’importation des denrées alimentaires, font face à un défi.

Au Nigeria, la flambée des prix fait basculer de plus en plus de ménages sous la ligne de flottaison : selon la Banque mondiale, le géant d’Afrique de l’Ouest compterait désormais quelque 95 millions de pauvres, soit presque la moitié de la population. Au Ghana, l’inflation vient d’atteindre un niveau record depuis dix-huit ans, à plus de 27 %. Au Sahel, jusqu’à 18 millions de personnes seront confrontées à une grave insécurité alimentaire d’ici à la fin du mois d’août.

Jour après jour, les voyants passent au rouge sur un continent africain essoré par deux années de pandémie et qui doit désormais encaisser les retombées d’une guerre lointaine. Alors que les prix des céréales et de l’énergie ont explosé sur les marchés mondiaux, les Etats dépendant des importations pour nourrir leurs populations voient s’aggraver la faim et la précarité.

Compenser les dommages collatéraux

Début juin, à Sotchi, en Russie, le président de l’Union africaine, Macky Sall, a enjoint à Vladimir Poutine de « prendre conscience » que l’Afrique était « victime » du conflit russo-ukrainien. Tout en rappelant que les tensions alimentaires avaient été aggravées par les sanctions prises contre Moscou. Une façon de renvoyer aux Occidentaux une partie des responsabilités.

L’invasion de l’Ukraine est la cause première de ce chaos. Mais si les mesures punitives entraînent pour les pays africains des dommages collatéraux, à charge pour l’Europe et les Etats-Unis de trouver les moyens de compenser. Le sujet est d’ailleurs bien à leur agenda. Fin juin, au sommet du G7, ils devraient tâcher d’en dire plus sur le contenu de l’Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire, cette initiative lancée avec la Banque mondiale pour répondre aux besoins immédiats des pays les plus vulnérables.

Sur le long terme, les Etats africains ont aussi un rôle crucial à jouer. Pour garantir la sécurité alimentaire, ils doivent accorder plus d’attention à leur secteur agricole. En 2003, les dirigeants africains réunis à Maputo (Mozambique) s’étaient engagés à allouer 10 % de leur budget national à l’agriculture. Près de vingt ans plus tard, on en est toujours loin.

Cultures aux faibles rendements

Pourquoi ont-ils si peu investi dans leurs masses paysannes qui forment pourtant la majorité des actifs et ne mangent souvent pas à leur faim ? Entre autres parce qu’elles sont éloignées dans les campagnes, tandis que le citadin menace de descendre dans la rue si son estomac est vide.

Les gouvernements ont donc favorisé l’importation de denrées alimentaires à bas prix pour acheter la paix sociale. D’autant qu’importer permet de prélever des droits de douane et, partant, de remplir les caisses d’Etats qui peinent à lever l’impôt. Les pays du Nord ont encouragé ce système, ravis de pouvoir ravitailler les villes africaines, eux qui produisaient tant et si bon marché.

Aujourd’hui, du fait d’une urbanisation galopante, l’Afrique est le continent où la consommation de blé croît le plus vite. Mais la production de cette céréale y demeure marginale. Il existe bien des cultures africaines spécifiques parmi lesquelles le mil, le manioc, l’igname, le sorgho ou le teff. La plupart sont connues pour leur potentiel nutritif ou leur résistance aux conditions climatiques locales. Certaines peuvent même être transformées en farine, et ainsi se substituer au blé. Malgré ces atouts, la recherche agronomique s’en est trop longtemps désintéressée et leurs rendements demeurent faibles.

Les pistes pour hisser la production agricole sont identifiées : donner aux agriculteurs l’accès à des intrants subventionnés, investir dans la création d’unités de transformation locales, établir des circuits de distribution pour pouvoir approvisionner les villes.

Le Rwanda a lancé depuis quelques années une telle révolution verte, preuve que les choses peuvent changer. Les pays africains concentrent la majeure partie des terres arables encore disponibles dans le monde. Nombreux disposent de vastes réserves de gaz qui pourraient leur permettre de développer une industrie des engrais, et devenir ainsi moins dépendants des fertilisants importés en masse de Russie. L’Afrique n’est pas condamnée à demeurer le continent de la faim.


Par Marie de Vergès © LE MONDE AFRIQUE