COMMENT EXPLIQUER LA PETITE TAILLE DES PYGMÉES ?


Des communautés vivant dans des forêts tropicales d’Asie et d’Afrique se distinguent par leur taille inhabituellement petite. Les généticiens ont désormais des facteurs d’explication.

La découverte est de taille. Des biologistes évolutionnistes ont acquis une meilleure compréhension des facteurs génétiques qui sont à l’origine de la petite taille chez les êtres humains. Selon une étude publiée en août 2014 dans la revue scientifique américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, cette caractéristique, connue sous le nom de phénotype pygmée, a évolué à de multiples reprises à travers au cours de notre évolution.

Dans la forêt tropicale d’Afrique centrale, plusieurs groupes de chasseurs-cueilleurs sont considérablement plus petits que leurs voisins agriculteurs : les populations Batwa à l’est et Baka à l’ouest sont ainsi communément désignées comme des pygmées.

Les raisons qui expliquent cette différence de taille sont longtemps restées floues. C’est en analysant les génomes des Batwa et des Baka, et en les comparant avec ceux de leurs voisins de taille moyenne, que les chercheurs ont fait ladite découverte : pour les deux groupes, la région du génome qui code la formation osseuse et les récepteurs des hormones de croissance présente des variations.

« Nous avons découvert la preuve la plus convaincante à ce jour que ce sont les gènes qui provoquent le phénotype pygmée », indique Luis Barreiro, chercheur au sein de l’Université de Montréal et auteur principal de cette étude.

Bien que la taille varie énormément en fonction des êtres humains, des communautés vivant dans des forêts tropicales d’Asie et d’Afrique se distinguent par leur taille inhabituellement petite. Chez les Batwa, les tailles moyennes des hommes (152,9 centimètres) et des femmes (145,7 centimètres) sont bien plus basses que celles de leurs voisins, les hommes (165,4 centimètres) et les femmes (155,1 centimètres) de la population Bakiga.

Les biologistes ont de fait cherché une explication de cette différence de taille entre les deux groupes.

Certains scientifiques ont émis l’hypothèse que des facteurs environnementaux en seraient la cause principale : malgré la richesse de la biodiversité dans les forêts tropicales, la nourriture reste extrêmement difficile à trouver pour les humains. Ainsi, il se pourrait que la taille des Batwa puisse être expliquée par un apport nutritionnel insuffisant.

D’autres scientifiques, dont Luis Barreiro, pensaient quant à eux que des variations génétiques pouvaient contribuer au phénotype pygmée. Il serait en effet plus facile pour des personnes de petite taille de protéger leurs corps d’une éventuelle surchauffe due à l’humidité tropicale. D’autres travaux du chercheur ont révélé que parcourir une forêt tropicale implique de se baisser très souvent afin d’éviter des obstacles, ce qui demande beaucoup d’énergie. Plus un individu est petit, moins il doit se baisser, ce qui lui permet ainsi de brûler moins de calories en se déplaçant dans la forêt tropicale.

DES DIFFÉRENCES GÉNÉTIQUES IMPORTANTES

Luis Barreiro et ses collègues ont collecté des données génétiques des populations Batwa et Baka, mais aussi de trois communautés voisines dont les membres sont de taille moyenne. En examinant différentes régions du génome, les scientifiques ont observé des différences génétiques importantes chez les Batwa et les Baka dans une région qui code les récepteurs des hormones de croissance.

Une analyse approfondie leur a ensuite permis d’affirmer que ces différences génétiques n’étaient pas aléatoires : les premiers Batwa et Baka n’étaient pas petits sans raison. D’une manière ou d’une autre, ces variations aidaient les individus à mieux vivre dans ces environnements tropicaux. Selon Luis Barreiro, il s’agit d’un bon exemple de convergence évolutive puisque ce même trait (la petite taille) a évolué de manière indépendante dans plusieurs populations différentes.

Lorsqu’ils ont étudié ces mutations pour estimer quand elles avaient eu lieu, les chercheurs ont découvert que celles-ci étaient relativement récentes car elles s’étaient produites en parallèle dans les deux communautés. 

« Cette étude est à ce jour l’une des plus grandes avancées concernant le déterminisme génétique du phénotype pygmée », estime Paul Verdu, généticien des populations et chargé de recherche au CNRS.

Ces résultats permettent une meilleure compréhension non seulement du phénotype pygmée, mais également de l’immense diversité de notre espèce.