VILLES DURABLES, INTELLIGENTES ET INNOVANTES EN AFRIQUE, UN PARI IMPOSSIBLE ?


« A quoi voulons nous réellement que ressemblent nos villes, et que voulons qu’elles deviennent ? » Tous les schémas directeurs de nos politiques nationales pour le développement urbain ne répondent pas souvent à cette question. Et avec ça, comment voudrions que nos villes soient durables, innovantes et intelligentes sans aucune résilience ?

Le chaos urbain remet toujours au gout du jour les disparités creusées dans la reproduction d’un modèle de développement divergent. Ce qui soulève toujours la question de la répartition des fruits de la croissance qui met en lumière deux types de citoyens : ceux qui sont favorisés et les victimes. Soulignons par-là qu’à cause d’une politique inéquitable et d’un certain nombre de circonstances liées à l’histoire et à la géographie, les villes Africaines de manière générale sont de véritables bombes écologiques et sociales.

La volonté de définir les objectifs de durabilité de nos villes africaines réside au cœur des schémas directeurs idéaux de beaucoup de gouvernants mais en théorie. Comment et enfin concrétiser un consensus en proposant un programme d’action précis pour rendre nos villes durables et intelligente relève d’un pari difficile…

L’Objectif de Développement Durable 11 vise à rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables. Concrètement, l’objectif est pour le présent et pour l’avenir de faire de chaque ville, un endroit où les conditions de vie soient supportables pour tous et où l’on puisse s’instruire, se déplacer, travailler et se distraire dans le confort et la sécurité, avec plaisir et fierté, dans un esprit d’ouverture et sans exclusif.

Il est essentiel que la volonté d’assurer à tous, la meilleure qualité de vie soit perçue comme l’objectif central d’un plan de développement urbain dans la mesure où toutes les actions de politique urbaine doivent profiter au bien-être de la population sous peine de tomber en désuétude. Telle est la logique d’un bon plan d’urbanisme que les responsables d’aujourd’hui et de demain doivent se poser. Mais qu’en est-il à ce niveau en Afrique ?

La priorité de la Banque Mondiale dans son nouvel agenda urbain réaffirme l’engagement en faveur du développement urbain durable de manière intégrée et coordonnée aux niveaux local et mondial avec la participation de tous, sans laissés pour compte.

La triste réalité africaine reflète des investissements sous le sceau « Approches innovantes » ou « Intelligentes » mais mal adaptés et disproportionnés aux cadres spécifiques de chaque ville. Des infrastructures imposées ne répondant pas au besoin, un modèle de développement copié et collé ne font que qu’élargir les fossés creusés entre couches privilégiées et minoritaires au détriment des défavorisées majoritaires.

Que pourrait être une ville africaine durable ?

A partir d’un modèle durable ci-dessous, nous allons essayer de définir un certain nombre d’objectifs et situations qui s’y rattachent.

  • Une ville qui met le souci de la qualité de vie pour tous, au centre de ses préoccupations dépend d’un cadre macro-économique prospère, offrant un large éventail d’emplois intéressants. Qualité de vie et développement économique sont indissolublement liés, et il est impossible de les améliorer séparément.
  • Un plan urbain bien conçu s’attache réellement à permettre à tous les citoyens, sans discernement, de profiter de toutes ses ressources. Qu’il s’agisse de logement, d’enseignement, de transport en commun, de vie familiale, de santé ou de loisirs.

Des « villes africaines durables » seront des centres qui se préoccupent des besoins de tous dans un esprit de partage, de compréhension et de justice. Une importance prioritaire serait accordée à l’excellence en matière d’enseignement, à tous les niveaux, car c’est de la qualité de son enseignement que dépend l’esprit d’une ville et sa capacité de progresser.

Pour offrir une qualité de vie toujours meilleure, les villes africaines doivent offrir une architecture à l’échelle humaine, accueillante et chaleureuse dans un environnement urbain (bâtiments, rues, parcs, ensembles résidentiels) bien aménagé. Pour ce, nos dirigeants doivent se soucier prioritairement de la mobilité et du confort de la population. De ce fait, la ville ne doit pas être une cité où la « beauté » n’est qu’une préoccupation de second ordre dans le modelage de l’environnement.

En ce qui concerne son environnement physique, les villes doivent se montrer particulièrement attractives, car leur magnifique décor naturel est le fondement même à la fois de la prospérité économique de la cité et de la qualité de vie qu’elle offre à ses habitants. Une eau pure, un air pur, des parcs et des rues impeccables, des sites et des espaces naturels préservés, sont autant de richesses sur lesquelles nous devons veiller en permanence. Malheureusement cet aspect est relégué au second niveau et les mesures d’accompagnement pour leur suivi et leur entretien ne sont pas prises au sérieux. A Dakar si l’on prend l’exemple du foret classé de Mbao et Keur Massar, force est de constater que le site devient un refuge de malfaiteurs et de bandes d’agresseurs. L’espace est de plus en plus réduit, grignoté par la cupidité foncière des autorités en charge. Jadis, le poumon vert de la ville devient le terreau fertile de l’insalubrité et de l’insécurité.

Les politiques des villes africaines doivent être axés aussi sur la mise en place d’un environnement culturel de premier ordre. La culture, les institutions à vocation éducative doivent apporter une contribution vitale à l’agrément, à la prospérité économique, et au cadre de vie d’une ville.

La préservation de l’héritage historique de la ville ainsi que sa diversité culturelle et ethnique occultent l’aspect fondamental de l’environnement naturel. L’art et la culture sont indissociables de la nature et toute politique de développement d’une ville doit les associer. Ce qui n’est pas le cas dans la plupart des Etats africains.

La qualité de vie offerte aux habitants et l’attrait exercé sur les visiteurs reposent sur notre héritage culturel, notre mélange ethnique, la couleur de nos quartiers, et la richesse des traditions culturelles profondément ancrées dans le peuple. Le modèle culturel et ethnique le plus fertile qui puisse être proposé pour une ville durable n’est ni l’insipide uniformité du melting pot, ni le rigide cloisonnement. C’est au contraire une communauté dynamique qui préserve ce que son héritage a de meilleur tout en ouvrant la voie à la mobilité sociale.

L’exemple de Dakar, capitale du Sénégal

L’avenir de la ville de Dakar dépend du rôle qu’elle saura jouer au sein de son cadre géo économique et géopolitique régional. A quelques rares exceptions près, elle ne fondera plus son développement sur l’expansion vers de nouveaux territoires, mais sur la mise en valeur de l’espace à l’intérieur de ses limites actuelles. Une ère de progression ruineuse de la ville région et ses différentes collectivités territoriales doit céder le pas à une stratégie commune qui exploite les avantages, l’accessibilité et le pouvoir d’attraction qui font de la capitale, le grand centre culturel et économique.

Interdépendance et équilibre naturel, doit devenir le maitre mot du dialogue politique et social au sein de la région de Dakar particulièrement.

Les Grandes villes africaines comme Dakar, la capitale sénégalaise doivent tirer parti de leur exceptionnelle situation géographique qui les mettent au cœur des réseaux mondiaux et nationaux des flux commerciaux de transport et de communication.

En même temps qu’il commande l’accès aux trésors touristiques et aux richesses naturelles et énergétiques en perspectives d’exploitation et des minerais, Dakar est le plus grand et le plus central des aéroports de l’Afrique occidental et le point d’intersection le plus convoité du réseau aérien et maritime.

Son schéma directeur doit s’organiser donc autour d’une idée forte : que le développement de la ville et de ses environs aille toujours dans le sens d’une meilleure qualité de vie à la fois pour ceux qui y résident aujourd’hui et pour la multitude de ceux qui y vivront demain. En plaçant les habitants au premier rang de ses préoccupations, Dakar devrait leur assurer la prospérité économique et l’égalité des chances, préserver la beauté et la dimension humaine de leur cadre de vie et sauvegarder leur héritage historique et leur diversité culturelle. Elle doit veiller à l’excellence de leur environnement tant physique que culturel. Parmi les éléments essentiels à la prospérité économique et donc à la qualité de la vie, l’Etat doit privilégier la vocation de Dakar à être le pôle directeur de la région occidentale de l’Afrique et un centre de réseaux national des transports et des communications répondant aux critères exigibles.

La nécessité et l’obligation de la planification urbaine se pose particulièrement quand il s’agit d’une ville à vocation durable. Par nature, cette planification comporte l’obligation de faire un choix entre plusieurs objectifs concurrents qui poussent les autorités en charge de la ville de répondre à la question de la décision qui contribuera le plus efficacement à améliorer la qualité de vie de toutes les couches de la population. Alors à partir de là, nous pourrons être certains que les enfants d’aujourd’hui nous remercieront de leur avoir donner un bel héritage demain.

Des innovations intelligentes pour des villes intelligentes à la mesure des niveaux de progrès

Le concept de ville intelligente dans son essence même n’est possible qu’à travers des innovations d’envergure touchant tous les secteurs.

Dans le secteur de l’éducation et de la formation, l’ONG française Bibliothèques Sans Frontières et son entreprise sociale Kajou ont lancé au mois d’octobre dernier leurs activités au Sénégal en déployant un ambitieux programme de soutien à l’éducation, à l’emploi et à l’entrepreneuriat de 9 500 jeunes des régions de Dakar, Saint-Louis, Kolda et Ziguinchor à l’heure où l’employabilité des jeunes constitue la priorité du gouvernement.

Par-là, BSF met à la disposition des jeunes des bibliothèques numériques Ideas Cube et leur distribue des cartes Kajou. Ils peuvent ainsi avoir accès sans connexion internet à l’intégralité de leurs supports de cours ainsi qu’à des contenus thématiques de qualité : ressources pédagogiques en lien avec le programme du baccalauréat, fiches métiers, plaquettes de présentation des filières universitaires du pays.

Ainsi, l’ONG accompagne l’université Virtuelle du Sénégal (UVS) dans la mise en place de serveur internet off line dans les Espaces Numériques Ouverts (ENO). L’Ideas Cube est un outil qui permet d’avoir accès à des ressources documentaires illimitées sans connexion internet et les cartes SD Kajou pour le même principe, offrent l’avantage de l’accès via un smartphone gratuitement.

Cette technologie de pointe va permettre l’atteinte de l’objectif de développement durable 4 à savoir l’accès à l’éducation pour tous et contribuer à la fracture numérique.

Dans le domaine de l’Energie, au-delà même des efforts consentis par les gouvernements pour réduire la facture énergétique, des initiatives individuelles aideraient à participer à l’atteinte de l’Objectif durable 7.

A l’image du célèbre chanteur sénégalais Youssou Ndour qui a montré l’exemple en installant entièrement des centaines de panneaux solaires dans sa maison à Dakar, d’autres initiatives devraient suivre…

L’Etat du Sénégal a prôné une approche territoriale pour rendre effectif l’acte III de la décentralisation pour une meilleure mise en œuvre de la territorialisation des politiques publiques en matière d’urbanisation. Toujours est-il que les infrastructures modernes ou intelligentes ne bénéficient partiellement qu’à des centres urbains régionaux la plus part.

L’Etat du Sénégal a entamé un projet phare Smart City à travers l’implantation des centre Smart Sénégal Services dans ses quarante-cinq départements pour une administration de proximité par la dématérialisation des procédures administratives et commerciales. Ceci est un aspect important pour développer des villes intelligentes, mais qu’en est-il des pré-requis ?

Pour réussir le pari des villes durables, innovantes et intelligentes en Afrique, il faudrait une stratégie globale alliant innovation technologique et le développement durable. La question essentielle du logement, la mobilité urbaine, la problématique gestion de l’espace liée à la pression foncière, les équipements publiques absentes ou archaïques sont autant de priorités et de préalables sans lesquelles il ne peut y avoir de villes durables ou intelligentes bon gré ou malgré les innovations.


Par YOUNOUS SEYDOU KANE / Ecologiste/ Humanitaire/Enseignant – Bibliotheques Sans Frontieres © www.notre-planete.info