LA GRANDE COURSE DE CHAMEAUX D’INGALL, AU NIGER


Le petit Moussa, dix ans, se souviendra longtemps de ce samedi de septembre 2021, à Ingall. Bien que haut d’un mètre à peine, il a véritablement survolé le désert, le temps de la principale course de chameaux du Niger, l’une des plus grandes au Sahara, celle d’Ingall. Et il l’a gagnée !

Alors que des bêtes de course sont arrivées de tout le pays et du proche voisin algérien, c’est lui, le fils de la brousse de Tchin Tabaraden – qui écoule d’habitude les longues journées chaudes à mener dans le désert le bétail de son père – qui s’est hissé à la première place.

Lui, Moussa, qui ne va pas à l’école mais qui monte l’animal au rugissement de dinosaure depuis ses trois ans. Il ne fait les courses que depuis qu’il a sept ans: « Avant, j’avais peur de monter seul sur les chameaux ». Lui, enfin, qui se prend désormais à rêver d’un avenir doré, dans lequel il aura « plein de chameaux » et surtout, « gagnera d’autres courses! »

Des finalistes de la principale course de chameaux du Niger, l'une des plus grandes au Sahara, à Ingall, dans le nord du Niger, le 18 septembre 2021.
Cure salée

Celle d’Ingall, dans le nord du Niger, est l’évènement du festival de la Cure salée, grande fête d’un pastoralisme saharien pris au piège du conflit jihadiste dans la région.

Mais ici, nulle référence à l’insécurité, il est temps de s’amuser! « Il y a le football en Europe, ici on a les courses de chameaux », résume Khamid Ekwel, propriétaire réputé de chameaux de course. Alors samedi matin, dès l’aube, des centaines d’éleveurs se sont pressés contre les barrières du stade –une piste de cinq kilomètres dans le désert, délimitée par des pierres peintes en blanc– pour assister à la course.

Une femme se protège du soleil pendant la principale course de chameaux du Niger, l'une des plus grandes au Sahara, à Ingall, dans le nord du Niger, le 18 septembre 2021.
Pick-ups et chèches blancs

Des dizaines de pick-ups ont été garés stratégiquement pour que, debout sur le toit, on puisse voir le plus loin possible. D’autres ont amené leur chameau pour regarder d’en haut. Tous attendent sous le soleil montant dans le ciel bleu, en pariant sur le vainqueur de cette course de 25 animaux.

Ceux-ci arrivent bientôt et se placent derrière une corde verte tendue sur la ligne de départ. Sur chacun, les jockeys, à peine adolescents: plus légers ils sont, plus vite ira la bête. On attend le départ.

Lahsanne Abdallah Najim, membre du jury et lui même propriétaire d’un des chameaux favoris, est stressé: il doit veiller à la bonne organisation, mais surtout, il veut que sa bête gagne!

Le moment fatidique approche, il se place dans son pick-up, accorde d’un signe à une quinzaine de personnes la permission de monter à l’arrière, réajuste son chèche, puis ronge son frein en attendant que le drapeau blanc s’envole enfin.

Des vendeurs ambulants pendant la principale course de chameaux du Niger, l'une des plus grandes au Sahara, à Ingall, dans le nord du Niger, le 18 septembre 2021.
Un sprint terrible

D’un coup, ça y est. Les chameaux partent au galop, les spectateurs crient. Le véhicule de Lahsanne Abdallah Najim démarre en trombe avec une dizaine d’autres. Le sable s’envole comme les chameaux et, bientôt, on ne voit plus grand chose, les bêtes sont déjà loin.

Dans la voiture, M. Najim sourit: « Il y a certains qui choisissent d’aller vite maintenant, mais en fin de compte ils seront les derniers. C’est au deuxième tour qu’il faut accélérer. »

Deux tours de cinq kilomètres: la course est longue. Après le premier tour, quatre chameaux sont au coude à coude. Celui de Lahsanne Abdallah Najim est parmi ceux-là. Sous son chèche, il récite des sourates du Coran.

Sur la piste, les motos et les pick-ups filent et leurs conducteurs crient mais les jockeys n’en ont cure. Eux ne font que frapper leurs bêtes pour accélérer: c’est le sprint final!

Bientôt les quatre montures arrivent devant la tribune où est installé le président nigérien Mohamed Bazoum et le petit Moussa arbore un grand sourire: sur Mahokat (« le fou »), il finit un chouia devant les autres. « Ca a été un sprint final terrible, et encore plus terrible pour moi car je suis quatrième », dit M. Najim.

Des participants à la principale course de chameaux du Niger, l'une des plus grandes au Sahara, à Ingall, dans le nord du Niger, le 18 septembre 2021.
Le plaisir et la gloire

L’entraineur de Mahokat, Mohamed Ali, est heureux mais pas surpris. Avant la course, il l’avait prédit: « Ce chameau, c’est un chameau qui gagne! Aujourd’hui même, inch’Allah! » C’est lui qui, au quotidien, monte le chameau et fait des courses d’entrainement. Il explique le nourrir au mil, nourriture à laquelle nombre d’éleveurs de brousse n’ont plus accès, faute d’argent.

Ces chameaux de luxe, même s’ils vivent au fond du désert, sont connus dans la région: ce sont les mêmes qui gagnent de course en course. Leurs propriétaires sont riches, ils ne recherchent pas l’argent mais la gloire saharienne. « Il y a des prix certes, mais ce ne sont pas eux qui nous intéressent, c’est de gagner », confirme Hassan Mohamed, grand propriétaire. « On cherche le plaisir et la gloire seulement », ajoute-il en souriant.

Par Amaury HAUCHARD © 2021 AFP