LES NIGÉRIANS ÉTRANGLÉS PAR UNE HAUSSE DES PRIX INCONTRÔLÉE


Au petit-déjeuner, Waheed Ibikunle et sa famille avaient l’habitude de manger des oeufs durs. Mais depuis plusieurs mois, ce chauffeur routier nigérian ne peut même plus offrir ce simple repas à sa femme et ses trois enfants.

Depuis janvier, le prix d’un carton d’oeufs a presque doublé pour atteindre 1.500 nairas (3 euros): la famille les a supprimé de son alimentation quotidienne.

Le riz, les tomates, la farine, l’igname, la viande de boeuf, ainsi que la plupart des aliments de base au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, ont vu leur prix monter en flèche.

« Je n’ai pas d’autres choix que de demander à ma femme de changer les menus » déplore M. Ibinkunle, depuis sa modeste maison d’un quartier populaire de Lagos, la capitale économique de 20 millions d’habitants.

Avant même la crise économique provoquée par la pandémie mondiale, le géant du continent se débattait pour sortir la tête de l’eau: depuis 2016, les cours du pétrole, sa principale source de revenus, ont chuté, et sa monnaie ne cesse de se déprécier. 

Aujourd’hui, la crise se ressent dans les assiettes. L’inflation a atteint plus de 18 % en mars, son niveau le plus élevé depuis quatre ans, en raison notamment des prix des denrées alimentaires, qui ont augmenté de 22,9 %, selon le Bureau national des statistiques.


Paupérisation

Sur les marchés populaires d’Ile-Epo et Agege, à Lagos, les commerçants et les clients râlent.

« Ce tubercule d’igname coutait entre 700 et 800 nairas il y a encore quelques mois, et maintenant il part pour 1.300 nairas », grommelle Ajoke Salau, une commerçante, dont les ventes ne cessent de diminuer, autant que ses marges.

Sur son étal, une cliente choisit trois tubercules, et après quelques minutes de négociations, elle sort une liasse de billets qu’elle remet à la vendeuse.

« Le coût de la vie est vraiment devenu trop élevé », peste la cliente.

En 2020, le ralentissement de l’économie mondiale provoqué par le virus a plongé le Nigeria dans une récession, la seconde en quatre ans.



Si le pays a fini par renouer avec une faible croissance à la fin de l’année, la chute des revenus pétroliers a aggravé le déficit de sa balance commerciale, qui se situe autour de 14 milliards de dollars, et épuisé ses réserves de changes, fragilisant un peu plus le naira.

Mais la faiblesse de la monnaie nationale n’explique pas à elle seule l’augmentation des prix des denrées alimentaires. 

Pour Lukman Busari, un agriculteur à la tête d’une exploitation de plusieurs hectares dans l’Etat d’Ogun, près de Lagos, le problème vient aussi du coût élevé des aliments pour animaux et du manque d’infrastructures à travers le pays. 

« Dans ma ferme, nous dépensons presque le triple de ce que nous dépensions avant en aliments pour animaux et en diesel », déplore-t-il.

« On doit se fournir nous-mêmes en eau et en électricité. On a même dû niveler nous-mêmes la route menant à notre ferme ! », détaille-t-il. « Ces coûts se répercutent sur les consommateurs »

Mais dans un contexte de grave crise économique, où le chômage augmente et la pauvreté gagne du terrain, les consommateurs aussi manquent d’argent.  

Environ 43% de la population nigériane, soit environ 90 millions de personnes, vit en-dessous du seuil d’extrême pauvreté, soit avec moins d’1,90 dollar par jour, selon le dernier recensement de l’organisation World Poverty Clock.


Insécurité croissante

Pour relancer l’économie, il faut maîtriser l’inflation, plaident les analystes économiques et les chefs d’entreprise. 

« Et pour cela identifier ses principaux moteurs », indique Muda Yusuf, le directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie de Lagos. 

Outre les problèmes d’énergie, de coût du transport, de manque de devises, « l’escalade des actes de banditisme, des enlèvements, du terrorisme et des vols à main armée pèse lourdement sur les activités économiques, en particulier sur la production agricole », affirme M. Yusuf. 

Depuis une dizaine d’années, des groupes criminels, appelés « bandits » par les autorités, terrorisent les régions agricoles du nord-ouest et du centre du Nigeria. 

Mais la raison principale reste la faiblesse du naira, du fait de « choc externes sur le marché international du pétrole », insiste Sola Oni, courtier de Sofunix Investment and Communication. 

Le gouvernement doit d’urgence diversifier son économie, beaucoup trop dépendante du pétrole, en investissant dans l’agriculture et les petites entreprises, dit-il.

Mais pour beaucoup, il sera difficile d’attendre jusque-là. Dans le nord-est du Nigeria, à bout de forces après plus de dix ans de rébellion jihadiste, des millions de personnes sont menacées par la famine, alors qu’approche la période dite de soudure, entre juin et août, pendant laquelle la nourriture manque.


AFP