DANS L’ADAMAOUA, « ON PRODUIT LE MEILLEUR MIEL CAMEROUNAIS PARCE QU’IL EST BIO, MÛR ET PUR »


Le nectar récolté dans le nord du pays est réputé pour sa saveur et ses qualités nutritionnelles, prisées jusqu’en Arabie saoudite.

Il a le goût « profond et exquis du nectar », les « couleurs du soleil », la« douceur du velours », « d’excellentes valeurs médicinales ». Lorsque les apiculteurs de l’Adamaoua, l’une des trois régions septentrionales du Cameroun, décrivent leur miel, les superlatifs pleuvent. Chacun veut mettre en avant la spécialité de sa localité, les fleurs « multicolores », les abeilles naturelles, la « générosité » de la savane…

« L’Adamaoua produit le meilleur miel de tout le pays, en quantité et en qualité », vante Babba Hamadou, apiculteur à Ngaoundéré, la capitale régionale. Ce chef de village, par ailleurs président du comité de gestion de la Scoops des apiculteurs exhibe, tel un trophée, un bidon de cinq litres contenant le précieux nectar extrait, insiste-t-il, « sans produits chimiques ».

Selon les statistiques officielles, en 2015, le Cameroun a produit 3 341 tonnes de miel. Plus de la moitié provenait de l’Adamaoua, où l’apiculture se pratique depuis des décennies. Le miel issu de cette région du nord est vendu dans tout le Cameroun, aux pays voisins (Nigeria, Gabon, Tchad…), en Europe et jusqu’en Arabie saoudite.


« Grenier » apicole du pays

Selon le professeur Fernand-Nestor Tchuenguem Fohouo, entomologiste et responsable de l’unité d’apicologie appliquée de l’université de Ngaoundéré, la capitale régionale, l’Adamaoua, réunit toutes les conditions pour être le « grenier » apicole du pays. Sa haute savane offre « une forte diversité de plantes intéressantes pour les abeilles » et son climat de type tropical soudanien participe à l’épanouissement des insectes. Depuis trente et un ans, cet homme affable accompagne les apiculteurs en dispensant les bonnes pratiques de production d’un miel de grande qualité.


La région de l’Adamaoua, dans le nord du Cameroun, a produit 3 341 tonnes de miel en 2015. JOSIANE KOUAGHEU POUR "LE MONDE AFRIQUE"

Il y a d’abord le choix des ruches qui doivent permettre d’extraire le miel sans tuer les abeilles ni les blesser. Ensuite, le contrôle de la maturité du nectar avant la récolte : il ne doit pas contenir plus de 20 % d’eau et moins de 80 % de sucre. Il faut enfin s’assurer d’un mode d’extraction et d’emballage respectueux des règles d’hygiène.

Au fil des années, à travers son association Des abeilles, des fleurs et des hommes (AFH), le professeur Tchuenguem et son équipe ont multiplié les formations pour les responsables de coopératives d’apiculteurs. Et, depuis deux décennies, quelque 3 000 étudiants sont initiés chaque année à l’apiculture modernisée. Vingt docteurs diplômés d’apicologie sont déjà sortis de la faculté de Ngaoundéré.« La qualité du miel est allée crescendo avec nos formations », se réjouit l’entomologiste.

Pour Adama Myounh, qui s’est lancée il y a plus d’une décennie à Tibati, une localité de l’Adamaoua, la région produit « le meilleur miel camerounais parce qu’il est bio, pur et mûr ». « Il n’est pas mélangé comme ailleurs », explique l’apicultrice, où l’on ajoute du sucre, de l’eau, de la sève pour augmenter les quantités, le poids et accroître les gains. Cette femme de 49 ans a commencé avec cinq ruches traditionnelles en paille, pour une production annuelle de 48 litres. A l’époque, elle se servait de fumées de feu de bois pour faire fuir ses abeilles et récolter leur miel. Certaines étaient tuées durant l’opération et le nectar obtenu était altéré.

Depuis, Adama Myounh a suivi des formations au Cameroun et en Turquie. Aujourd’hui, elle possède des centaines de ruches modernes et produit 5 000 litres par an. Les clients se bousculent pour acheter ses flacons. Comme de nombreux apiculteurs interrogés, Adama estime que « la qualité naturelle est primordiale ».


« Or noir » et labellisation

Au petit marché de Ngaoundéré, Aminou Mohamadou, l’un des plus grands grossistes de l’Adamaoua, vend du miel blanc, noir, clair, dans des bidons de toutes les tailles. En vingt et un ans de commerce, il dit avoir vu la qualité du nectar « exploser », tout comme les prix, multipliés par cinq. Le jerrycan de 20 litres est ainsi passé de 4 500 francs CFA (6,88 euros) au début du siècle à 20 000 francs CFA (30,57 euros) aujourd’hui. A l’en croire, si le miel de l’Adamoua est « le meilleur », c’est aussi pour ses vertus médicinales : « Il soigne les maladies comme le rhume, la grippe, les maux d’estomac, il stimule d’appétit, il cicatrise les plaies », énumère le grossiste.

L’universitaire Fernand-Nestor Tchuenguem Fohouo ne dit pas autre chose. Au travers de son association, il commercialise les produits issus des ruches comme le miel, bien sûr, mais aussi la propolis, surnommée « l’or noir » du fait de ses immenses bienfaits anti-infectieux. Récupérée par l’apiculteur dans la ruche, la propolis est un mélange cireux fabriqué par les abeilles à partir de la résine végétale qu’elles prélèvent sur les bourgeons et l’écorce des arbres. Elles en tapissent les parois de leur habitat pour l’isoler et l’aseptiser, évitant le développement de bactéries, de virus ou de moisissures. Consommée en granulés ou sous forme liquide – comme le Promax-C développé par l’AFH –, la propolis aide à prévenir et à soigner de nombreux maux du quotidien grâce à ses composés antiviraux et antibactériens.

Adama Myounh, elle aussi, rêve de transformer et de commercialiser cet « or noir ». Mais, avant, comme des milliers d’apiculteurs de l’Adamaoua, elle aimerait que leur nectar soit reconnu à l’international, à l’instar du célèbre miel blanc d’Oku, extrait dans la région anglophone du Nord-Ouest et labélisé par l’Organisation africaine de la protection intellectuelle (Oapi).

Pour y parvenir, l’apicultrice est consciente qu’il faut mieux s’organiser, bannir les mauvaises pratiques apicoles qui subsistent et s’attaquer aux problèmes environnementaux tels que le déboisement, les feux de brousse, les productions agricoles qui tuent ou font fuir les abeilles. Autre problème de taille qui avait fait chuter la production de miel de 70 % en 2017, d’après les autorités : les prises d’otages. Des groupes rebelles venus de la République centrafricaine (RCA) voisine kidnappent de riches éleveurs camerounais de l’Adamaoua. Beaucoup d’apiculteurs étaient partis, abandonnant leurs ruches.


Par Josiane Kouagheu © www.lemonde.fr/afrique