AU BURKINA FASO, LE SYSTÈME D DES HABITANTS POUR LUTTER CONTRE LE FLÉAU DES DÉCHETS PLASTIQUES


De la collecte au recyclage, les initiatives se multiplient pour pallier les insuffisances des communes dans la gestion des ordures.

Sacs plastiques, boîtes de conserve et sachets d’eau usagés… A Ouagadougou, ils font partie du paysage. Chaque jour, les déchets s’accumulent en petites montagnes colorées, encombrant les « six-mètres », ces pistes en terre rouge qui sillonnent la capitale du Burkina Faso. Dans le quartier de Karpala, des enfants errent au milieu d’un terrain vague transformé en dépotoir géant, à la recherche de « trésors » en ferraille. Les habitants, résignés, passent sans un regard. « Qu’est-ce qu’on peut y faire ? », répond un voisin en haussant les épaules.

La scène est banale. A Ouagadougou, 35 % des ordures finissent ainsi, jetées dans la rue ou dans des décharges sauvages. Du fait de l’urbanisation, de l’explosion démographique et de certaines habitudes alimentaires, la masse de déchets augmente chaque année. En 2020, 680 000 tonnes d’ordures ont ainsi été produites dans la capitale, qui compte quelque 3 millions d’habitants. C’est trois fois plus qu’il y a vingt ans et environ un tiers de ces déchets sont en plastique. Difficiles à recycler, les sachets fins en polyéthylène sont devenus un fléau environnemental en Afrique, où plus de 90 % des immondices sont jetés dans des dépotoirs anarchiques et incinérés en plein air, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

C’est à force de voir les terres de son village natal transformées en poubelles à ciel ouvert, à Koudougou (centre), qu’Ousmane Dermé, un bronzier de 76 ans, a décidé de passer à l’action il y a vingt ans. « J’étais triste de voir tous ces plastiques par terre, alors qu’enfant on pouvait marcher sans en trouver un seul en brousse », rapporte le fondateur de la coopérative Yamba-D depuis son atelier de Ouagadougou. C’est ici, aidé de ses fils Issaka, Salif et Ali, ainsi que d’un ami plasticien français, que le Burkinabé a mis au point en 2004 un prototype de table-banc fabriqué à partir de déchets plastiques.

Ousmane Dermé récupère les emballages alimentaires et les poches d’eau potable usagées, très consommées au Burkina mais qui finissent la plupart du temps par terre. Le procédé, non toxique, est simple : les matières plastiques, environ 25 kg, sont fondues à haute température, puis moulées et transformées en table-banc. Le plastique recyclé, plus solide et résistant, remplace le bois, de plus en plus rare à cause de la déforestation et des changements climatiques dans la région du Sahel. L’objectif est aussi pédagogique. « Cela permet de montrer aux enfants qu’on peut valoriser les déchets et leur donner une seconde vie », explique Ali Dermé, le fils d’Ousmane, qui a recruté et formé une dizaine de jeunes à cette technique de recyclage.


« Les femmes de Simon »

A Nanoro, à 90 km de la capitale, la coopérative a imaginé tout un « cercle vertueux ». Faute de poubelles et de système de collecte, une soixantaine de femmes récoltent les déchets de la commune, qui produit environ 1 500 kg de plastiques par jour pour 60 000 habitants, puis les revendent à l’association au prix de 100 francs CFA/kg (0,15 euro).

« On s’aligne sur les tarifs locaux, c’est un complément pour elles. Un jour, une femme a récolté une tonne en deux semaines : elle a pu payer les frais de scolarité de ses enfants avec les 100 000 francs gagnés », se félicite Ali Dermé. Depuis le début de l’initiative, près de 100 tonnes de déchets plastiques ont été ramassés et 3 000 tables-bancs produites. Vendues 35 000 francs CFA l’unité (53 euros), plus de la moitié ont permis d’approvisionner des écoles à Nanoro et Ouagadougou.

Sur le modèle de Yamba-D, les initiatives se multiplient pour pallier les insuffisances dans la gestion des déchets des communes. A Ouagadougou, la municipalité a choisi de déléguer la collecte des ordures à des groupements privés. Depuis les années 2000, « les femmes de Simon », comme on les appelle ici en référence à l’ancien maire Simon Compaoré, arpentent les rues en charrettes tirées par des ânes et facturent leurs services, en fonction des quartiers, entre 500 et 2 000 francs CFA chaque mois par domicile.

« Il est plus pratique de laisser les habitants s’organiser dans les quartiers, qui sont souvent vastes et difficiles d’accès. Il est aussi préférable de responsabiliser la population plutôt que de l’infantiliser », explique Saïdou Nassouri, le directeur de la salubrité publique de Ouagadougou, dont environ 10 % du budget est consacré à la gestion des déchets. Des associations s’occupent ensuite de trier et de recycler les détritus dans un centre de traitement et de valorisation. Mais là encore, faute de structures de recyclage adaptées, seulement 5 % du plastique est valorisé. La capitale continue d’enfouir 80 % des déchets collectés, pour un coût estimé à plusieurs centaines de millions de francs CFA par an.


« Un travail de fourmi »

Pour Azize Diloma Hema, fondateur de l’association Africa Ecologie en 2017, le combat doit commencer « à la base ». Cet ingénieur de 33 ans a mis au point un système de tri sélectif, jusqu’ici inexistant dans le pays, et propose aux ménages de collecter et de traiter leurs ordures pour un forfait compris entre 800 et 6 000 francs CFA par mois selon la fréquence de passage. Avec trois poubelles – verte pour le papier et les déchets organiques, bleue pour le plastique et marron pour les restes alimentaires –, « rien n’est perdu », assure Azize Diloma Hema, qui fabrique du charbon écologique avec la biomasse récoltée. « On donne le reste à des associations qui fabriquent du mobilier avec le plastique. D’autres font du compostage et des granulés pour les animaux ou des marmites avec les canettes », explique le responsable, qui compte une soixantaine d’abonnés et espère être rentable d’ici trois ans.

Au Burkina Faso, plusieurs textes encadrent l’utilisation des sacs plastiques. Depuis 2015, une loi interdit la production, l’importation, la commercialisation et la distribution des sachets non biodégradables. Mais encore aujourd’hui, des vendeuses de fruits aux restaurateurs de rue, en passant par les boutiques et les supermarchés, ils restent distribués partout. La faute à « un manque de volonté politique », estime Saïdou Nassouri, pour qui « il faut sévir et agir vite » : « Si rien n’est fait, les déchets vont devenir de plus en plus difficiles à gérer sous l’effet de la croissance démographique. » D’autant que leur déversement sauvage, outre la pollution, augmente le risque de maladies et d’inondations.

Face à ces flots continus de plastiques importés, Azize Diloma Hema a parfois l’impression d’un combat sans fin. « Si nous n’avions que nos propres sachets à gérer, nous pourrions en venir à bout, mais là c’est un travail de fourmi », se désole-t-il, rappelant que l’Afrique est devenue un terrain de déversement des produits électroniques en fin de vie, souvent importés d’Europe. A Ouagadougou, de nombreuses boutiques baptisées « France au revoir » revendent des appareils électroménagers et du matériel informatique d’occasion. Or il n’existe dans le pays aucune structure adaptée pour les recycler une fois hors d’usage.

« On a besoin d’éduquer les nouvelles générations, qu’il y ait une prise de conscience »,plaide Ali Dermé, qui organise des collectes et des activités de sensibilisation dans les mairies. Lui rêve de retrouver la couleur originelle des terres du Burkina, comme au temps de son père, sans sacs plastiques à l’horizon.


Par Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance) ©Le MondeAfrique