LA GRANDE SOLITUDE DES FEMMES AFRICAINES FACE AU COVID-19


La pandémie de coronavirus fait peser une nouvelle menace sur les femmes africaines en pénalisant l’accès aux services de maternité et à la contraception.

C’est ce que révèle une enquête réalisée d’avril à juin auprès d’une trentaine d’associations dans sept pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger et Sénégal) par l’ONG Equilibres et populations. Celle-ci décrit l’apparition de nombreuses difficultés liées à la fermeture de centres de santé et aux tensions sur les chaînes d’approvisionnement dépendantes d’importations en provenance pour l’essentiel de Chine et d’Inde. Par crainte des contaminations, la fréquentation des services de planification familiale montre aussi une baisse importante, laissant entrevoir des conséquences lourdes pour les adolescentes.

De nombreux exemples sont cités : rupture d’approvisionnement en produits contraceptifs en Côte d’Ivoire et au Bénin, réaffectation de moyens vers les centres de traitements Covid-19 conduisant à la fermeture de services de santé maternelle au Sénégal et au Niger, suspension des distributions de contraceptifs et de campagne d’information dans les zones rurales du fait de l’interdiction des rassemblements, mise à l’arrêt des cliniques mobiles…

« Dans les guerres comme pendant les épidémies, les femmes sont davantage exposées aux violences sexuelles, indique Brigitte Syan, responsable du plaidoyer pour l’Afrique de l’Ouest d’Equilibres et populations. Les associations de notre réseau qui œuvrent pour les droits des femmes et l’accès à la planification familiale rapportent une augmentation de ces violences pendant le confinement. Des travailleuses domestiques ont été victimes des abus de leur employeur. » Le risque est élevé de voir se multiplier les grossesses non désirées, sans possibilité de gestion et de prise en charge.


La planification familiale permet aux populations d’atteindre le nombre souhaité d’enfants et de déterminer quel sera l’espacement des naissances. Img src : afriquepanorama.com

Arrêt de la prévention

Directrice de la section africaine de la Fédération internationale pour le planning familial, Marie-Evelyne Petrus Barry appuie ce constat : « La crise du coronavirus survient dans des sociétés marquées par une grande précarité et elle bouleverse des systèmes de santé déjà fragiles. Nous sommes présents dans 39 pays et partout nous avons été contraints de réduire l’offre d’accompagnement et de soins. » Ainsi à Sao-Tomé-et-Principe, la moitié de l’équipe a été contaminée et la clinique a dû fermer. En Sierra Leone, l’interdiction des rassemblements a mis à l’arrêt les programmes de prévention auprès des jeunes. Les travailleurs de la fédération avaient l’habitude de les rencontrer discrètement en marge des matches de football pour les informer sur l’importance d’avoir des rapports sexuels protégés et sur les risques du VIH. « Dans les camps de réfugiés, nombreux sur le continent, la suspension de tous ces services est encore plus frappante », conclut Mme Petrus Barry.

Pour alerter les gouvernements sur la nécessité de maintenir la continuité de ces services de santé, le bureau ouest-africain du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) a diffusé un guide pratique s’appuyant sur les leçons tirées des épidémies survenues depuis 2003. Lors de l’épidémie d’Ebola présente entre 2013 et 2016 en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, la fermeture des cliniques de santé maternelle avait entraîné une augmentation de 70 % du taux de mortalité des mères, alors que celui-ci était déjà l’un des plus élevés au monde. Le Fnuap recommande ainsi que les comités de riposte au Covid-19 créés dans chaque pays s’emparent officiellement de la question des femmes. Il suggère aussi d’attribuer au personnel soignant surexposé aux risques de contamination une « prime spéciale » afin, notamment, d’étendre les points de distribution des contraceptifs en dehors des centres de santé.

Certains pays ont pris des initiatives : à Kampala, la capitale ougandaise, des contraceptifs peuvent depuis quelques semaines être commandés via une application de commerce en ligne et être livrés par la société de mototaxi locale SafeBoda. Les frais de livraison sont gratuits et la majorité des produits proposés sont subventionnés. Le projet est financé par la Suède. Mais cette solution pour citadins connectés reste anecdotique à l’échelle d’un continent où, avant même l’épidémie, à peine la moitié des besoins modernes de contraception étaient satisfaits.

Dans un article consacré à la continuité de l’accès la contraception en temps de pandémie, publié en juin dans la revue en ligne Global Health : science and practice, la démographe Michelle Weinsberger et ses collègues soulignent que la crise du « Covid-19 change fondamentalement le paysage et, avec lui, la capacité des programmes nationaux à répondre aux besoins immédiats des femmes ». Les politiques existantes d’accès à la contraception ne sont, selon eux, plus valables, car les pays ne seront pas en mesure de s’approvisionner comme ils l’avaient imaginé au cours des douze à dix-huit prochains mois.


Eviter les pénuries

Surtout, les restrictions de déplacement, la saturation des centres de santé ou simplement la peur d’être contaminées risquent de pousser les femmes à avoir recours à des solutions qu’elles peuvent gérer seules : pilules, préservatifs ou patchs contraceptifs. Ces méthodes avaient été délaissées par les ministères de la santé au cours des dernières années au profit de produits dits de longue durée comme les injections de progestatifs ou les implants qui permettent une couverture de plusieurs mois à plusieurs années. Au Kenya par exemple, 45 % des femmes qui ont recours à des méthodes contraceptives modernes utilisent des « injectables » fournis par les services de l’Etat.

Les chercheurs soulèvent un autre point qui a son importance : les produits fournis dans les centres publics sont gratuits ou fortement subventionnés, ce qui n’est pas le cas des pilules ou des préservatifs distribués par le secteur privé. Les femmes les plus pauvres risquent donc de ne pas pouvoir se les procurer.

Au Burkina Faso, un tiers des femmes sont dans cette situation. La ministre de la santé, Claudine Lougué, ne se montre toutefois pas inquiète. Le pays, qui avait enregistré le premier décès lié au coronavirus fin mars, s’apprête à rouvrir son espace aérien. « Nous avons pris les devants pour sécuriser nos approvisionnements avec l’Inde et la Chine. Si des pénuries devaient se produire, ce serait en août. Mais je pense que cela n’arrivera pas », explique-t-elle. Comme plusieurs pays de la région, le Burkina a reçu le soutien financier et technique du Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents. Au cours de l’année à venir, 81 000 grossesses non planifiées pourraient survenir en cas de fortes perturbations de l’accès à la contraception, selon les évaluations fournies par le Mécanisme. Sur le continent, il est question de plusieurs centaines de milliers de grossesses.