AU ZIMBABWE, LES HÔPITAUX PUBLICS À L’AGONIE, HÉRITAGE DES ANNÉES MUGABE


Des gants de latex en guise de sonde urinaire, des salles d’opération à l’arrêt faute d’éclairage, des patients contraints de payer le plein de carburant de leur ambulance: naguère loué pour son efficacité, le système de santé du Zimbabwe agonise et ses usagers avec.

L’ironie n’a pas échappé au Dr Edgar Munatsi. Maître absolu du pays pendant trente-sept ans, son ex-président Robert Mugabe a préféré se faire soigner pendant des années dans un hôpital de luxe à Singapour jusqu’à sa mort, vendredi dernier, à l’âge de 95 ans.

« C’est très symbolique », lâche le médecin urgentiste de l’hôpital de Chitungwiza, à une trentaine de kilomètres de la capitale Harare. « Il ne pouvait pas faire confiance à notre système de santé, ce qui dit tout de son état de délabrement ».

Comme Robert Mugabe, d’autres dignitaires ont fait le choix de l’exil médical. L’actuel vice-président Constantino Chiwenga, par exemple, hospitalisé depuis plusieurs semaines en Chine.

Et pour cause.

A l’hôpital de Chitungwiza, pourtant présenté comme offrant une « santé de qualité », selon son rutilant panneau d’entrée, des opérations sont régulièrement reportées ou annulées faute de produits anesthésiants, explique le Dr Munatsi.

La situation est tout aussi inquiétante dans le service de pédiatrie de l’hôpital central d’Harare, un des principaux établissements du pays.

Le ménage est fait deux fois par semaine, faute de personnel et de détergents, confient des médecins. Les interventions chirurgicales y sont là aussi souvent reportées par manque d’eau courante et d’infirmières.

« En salles d’opération, on a des draps pleins de sang et de matières fécales et on ne peut pas les laver », s’indigne un médecin qui a requis l’anonymat. Comme nombre de ses collègues, il redoute les représailles du régime du président Emmerson Mnangagwa.


Cocktail mortel

Une seule des trois salles d’opération du service de pédiatrie est opérationnelle. « On a une liste d’attente de quatre ans pour les hernies inguinales, la pathologie la plus fréquente chez les enfants », explique l’un des spécialistes.

Manque de médicaments, équipement obsolète et manque de personnel: le cocktail s’avère parfois mortel. « Ca me fend le coeur quand on perd des patients qui ne devraient pas mourir dans des circonstances normales », confie le Dr Munatsi.

Depuis le début des années 1990, le système de santé publique n’a cessé de se dégrader, alors qu’avant, on venait se faire soigner au Zimbabwe, se rappelle un médecin senior.

Héritage des années Mugabe, l’interminable crise économique dans laquelle le pays se débat depuis vingt ans, avec son cortège d’inflation à trois chiffres (175% en juin), de dévaluations et de pénuries de produits de base, a précipité la dégringolade.

Dans les hôpitaux, les patients et leurs proches subissent la situation au quotidien, interloqués.

« C’est pathétique », soupire Saratiel Marandani, un vendeur ambulant de 49 ans, « j’ai dû acheter le pansement du cathéter pour ma mère ».

Compte tenu de son âge, elle devrait bénéficier de soins gratuits. Mais la réalité est toute autre, constate son fils, amer. « Seules les consultations sont gratuites (…) si vous avez besoin de paracétamol, vous devez l’acheter vous-mêmes ».

Sa mère devra se passer de l’échographie indispensable au diagnostic de son cas. A 1.000 dollars zimbabwéens (une centaine d’euros), « c’est hors de ma portée », explique Saratiel Marandani.


Des clopinettes

Des médecins racontent devoir parfois payer de leur poche les médicaments de leurs patients, ou tout simplement un ticket de bus pour qu’ils puissent rentrer chez eux.

A l’hôpital Parirenyatwa d’Harare, Lindiwe Banda est prostrée sur son lit. Cette frêle trentenaire diabétique a reçu le feu vert pour rentrer chez elle. A condition de payer sa facture.

« Mais je n’ai même pas 5 dollars zimbabwéens (0,5 euro) pour payer le transport », murmure-t-elle en larmes. « Je n’arrive pas à contacter mes proches. Je pense qu’ils m’ont abandonnée (…) Ils n’ont pas d’argent mais ils devraient au moins faire preuve d’amour… »

Les hôpitaux et les patients sont sans le sou, les médecins aussi. Ils viennent d’entamer un énième mouvement social.

Avec un salaire qui a perdu 15 fois sa valeur en l’espace de quelques mois et la « flambée de prix », on est « dans l’incapacité » d’aller travailler, explique l’un d’eux, Peter Magombeyi.

Son traitement ne représente plus que 115 euros mensuels, alors il est contraint aux petits boulots pour s’en sortir.

« Nous sommes très conscients » des problèmes, reconnaît Prosper Chonzi, le directeur des services de santé de Harare. « Le système de santé reflète l’économie du pays », constate-t-il, fataliste.

Le président Mnangagwa vient d’annoncer le déblocage d’une rallonge budgétaire exceptionnelle de 600.000 dollars pour cinq hôpitaux. « Des clopinettes », réagissent en choeur deux médecins.

Dans ces conditions, c’est l’hémorragie des cerveaux. Sur 55 camarades de promotion, décompte l’un d’eux, « on n’est plus que six à encore exercer dans le pays ».


 

Src: AFP