LES MARIAGES PRÉCOCES AU SENEGAL : IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT DES JEUNES FILLES


Forcer une petite fille à passer à un statut de femme mariée peut la faire basculer dans la dépression, la pousser à fuguer, ou, à l’extrême, au suicide.

DR. MAMADOU NIANG, GYNÉCOLOGUE-ACCOUCHEUR

Le mariage forcé est une violation de la liberté individuelle. Elle est interdite et punie dans les conditions fixées par la loi

Article 18, Constitution du Sénégal

Si le mariage est un événement important à célébrer, la pratique du mariage précoce n’est pas l’occasion de se réjouir pour la jeune fille, souvent impubère, à qui les adultes veulent imposer un partenaire conjugal et mettre un terme à son enfance, tout en compromettant ses droits fondamentaux. Les retombées négatives de tels mariages sont graves, et peuvent aller jusqu’à la mort de la jeune fille en cas de grossesse précoce.

Pour un esprit moderne, très informé des problèmes de santé et des traumatismes psychologiques pouvant être engendrés par des actes sexuels avant un certain âge, le mariage précoce peut relever de la folie. Il en est tout autrement pour les parents concernés qui parlent plutôt de conserver leur dignité, ce faisant, afin d’éviter que leurs enfants ne soient engrossées sur le chemin de l’école ou du champ familial. D’autres invoquent des difficultés financières, le mariage d’enfants étant souvent considéré comme une stratégie de survie économique. De plus, il est perçu comme une façon de protéger les filles et d’apporter quelque stabilité dans des situations sociales extrêmement tendues. Il est, en réalité, lié à des survivances du passé.

Au Sénégal et dans la plupart des autres pays d’Afrique, des jeunes filles se retrouvent « données » en mariage par leur famille à des prétendants pressés ayant déjà versé la dot, interrompant ainsi leur scolarité. Par exemple, dans le département de Vélingara (Sénégal), les jeunes filles vivent la hantise des mariages précoces à chaque période pré hivernale car c’est la période choisie par leurs parents pour les marier à des hommes qu’elles ne connaissent pas et qu’elles ne sont pas prêtes à aimer. N’étant pas préparées à s’occuper d’un homme, encore moins d’un foyer, elles vivent cette situation dans la douleur.

Néanmoins, des progrès ont été enregistrés en la matière, car les familles sont de plus en plus sensibilisées à l’importance du maintien des jeunes filles à l’école et aux dangers que représente un mariage précoce. Malgré tout, de nombreuses sociétés, surtout en Afrique et en Asie du Sud, continuent à prétendre que les filles doivent se marier dès ou peu après la puberté ! Et certaines femmes prétendent même n’avoir pas souffert de ces mariages précoces imposés.

En tout état de cause, aucune fille de 13 ans ne peut subir un accouchement sans risque pour sa santé, ni assurer l’éducation de sa progéniture et c’est aussi une des raisons pour lesquelles leurs enfants sont très tôt arrachés à leur affection pour être élevés par des parents plus matures. De plus, ces jeunes filles se retrouvent à accoucher en même temps que leurs mères, ce qui fait qu’elles ont des enfants qui sont du même âge que leurs oncles et tantes. L’environnement familial s’en trouve forcément perturbé, et l’équilibre des jeunes filles avec, ce qui les conduit souvent à la dépression ou à ce que beaucoup appellent à tort des « crises d’hystéries ».

Malheureusement, la pratique du mariage précoce est encore une réalité, des milliers d’adolescentes étant ainsi sacrifiées dans les familles pour des raisons multiples. Au Sénégal, on ne peut s’empêcher de constater que malgré l’entrée en vigueur d’un nouveau Code de la Famille prohibant de telles pratiques, il n’a pas encore fait l’objet d’une mise en œuvre et d’une application stricte et effective du fait du poids des traditions et des coutumes. C’est d’ailleurs à cause de ce poids que les décisions rendues en matière de nullité du mariage sont rares, pour ne pas dire inexistantes. Il importe donc de créer une synergie d’actions afin de changer les mentalités et la législation pour instaurer un climat où les jeunes filles, devenues femmes, soient libres de faire leurs choix en toute maturité.


Pour finir, rappelons simplement que l’article 7 de la Constitution du Sénégal dispose que « La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable […] Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle notamment à la protection contre toutes mutilations physiques. […] Les hommes et les femmes sont égaux en droits ».


 

Par Ibrahima GUEYE Khalil. © Mag VIE N°22 — Crédit photo: plan-international.fr