Pour réparer les femmes excisées, la chirurgie ne suffit pas


Pour soigner les femmes mutilées par l’excision, une opération de reconstruction de clitoris est possible, associée à une prise en charge globale du traumatisme.

«Ce que j’ai vécu, petite, l’excision, c’est une tradition qui existe toujours. Ça arrive à de nombreuses filles, souvent entre 12 et 18 ans, pendant les grandes vacances», témoigne une femme, dans le clip de l’association Excision, parlons-en . Chaque été, lorsqu’elles se rendent dans leur pays d’origine à l’occasion des vacances scolaires, des jeunes filles risquent de subir cette mutilation génitale. L’excision a principalement lieu en Afrique: en Égypte et au Mali, plus des trois quarts des femmes sont concernées, selon l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance).

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue 4 types de mutilations sexuelles: la clitoridectomie, l’excision, l’infibulation, et enfin toutes les autres interventions nocives telles que le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation. L’excision est la plus pratiquée: il s’agit d’une ablation partielle ou totale du clitoris et/ou des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres.

Ce rite traditionnel ancien peut être pratiqué pour différentes raisons. Dans certaines communautés, l’opération précède le mariage pour sa prétendue capacité à augmenter la fertilité des femmes. Chez les dogons, une ethnie malienne, le clitoris est perçu comme un organe masculin qu’il faut couper. Et pour les Nubiens d’Egpyte, le clitoris est le centre de l’appétit sexuel de la femme: l’excision est considérée comme étant le seul moyen de préserver la chasteté des jeunes filles, comme l’explique Alice Nicole Sindzingre, chercheuse au CNRS et professeur à l’université de Londres, dans les Cahiers d’études africaines .


L’excision, une pratique dangereuse

La plupart du temps, ces opérations sont réalisées par des «exciseuses» professionnelles, qui coupent le clitoris à l’aide d’un rasoir. Les conditions d’hygiène sont souvent très mauvaises et les jeunes filles ne reçoivent pas de traitement médical pour empêcher la survenue d’infections bactériennes ou pour réduire la douleur. «L’extrême douleur provoquée par l’excision est une partie intégrante et non un «raté» de la cérémonie. Il arrive que la douleur, lorsqu’elle n’est pas considérée comme inévitable, soit recherchée sciemment», explique Alice Nicole Sindzingre.

Outre cette douleur – le risque d’hémorragie et d’infection ou encore l’état de choc consécutif à l’intervention – l’excision expose les femmes à de nombreux dangers tout au long de leur vie: douleurs chroniques, augmentation des infections sexuellement transmissibles, ou encore des risques de complications lors de l’accouchement. De plus, «le désir comme la satisfaction sexuelle sont amoindris chez les femmes mutilées et les rapports sexuels douloureux sont significativement plus fréquents», notent les sociologues Armelle Andro et Marie Lesclingand, dans leur état des lieux sur les mutilations génitales féminines commandé en 2016 par l’INED .


L’invention d’une opération de reconstruction du clitoris

À la fin des années 1980, alors qu’il est médecin humanitaire au Burkina Faso, l’urologue Pierre Foldes découvre les ravages causés par l’excision. C’est alors que lui vient l’idée de mettre au point une opération de reconstruction du clitoris. «C’est une opération simple», explique-t-il. «Il y a une partie du clitoris qui est toujours vivante: il faut l’isoler et la remettre à la bonne place».

En effet, le clitoris n’est pas seulement externe: deux branches viennent entourer le vagin. La partie coupée pendant l’excision n’atteint donc pas ce clitoris interne. Le chirurgien coupe le ligament suspenseur du clitoris, qui attache le clitoris au pubis, de façon à pouvoir faire avancer le clitoris de plusieurs centimètres. «Il faut aussi enlever la partie malade», poursuit le Dr Foldes. On retire donc les tissus cicatriciels, pour dégager le clitoris précédemment avancé. «Les nerfs principaux du clitoris sont toujours présents, ce qui permet dans 80% des cas de récupérer des sensations qui permettent une sexualité normale».


«Une femme excisée, c’est avant tout une femme victime de violences»

Entre 1998 et 2009, Pierre Foldes de retour en France a opéré plus de 2900 patientes. Mais en 2008, sa rencontre avec Frédérique Martz, qui cherche à se reconvertir après 25 ans passés à diriger une société d’édition, vient bousculer sa conception du traitement à apporter aux femmes excisées. «Une femme excisée, c’est avant tout une femme victime de violences», rappelle le Dr Foldes. «Elle a perdu beaucoup de choses, pas seulement son clitoris. La violence psychologique de cette mutilation est marginalisée, alors que la souffrance post-traumatique est bien au centre. Si on ne la remet pas au premier plan, on n’arrive pas à guérir ces femmes, même si on leur redonne un clitoris fonctionnel!».

L’excision, c’est un traumatisme global : la femme victime est atteinte dans son être, dans sa personnalité, dans son identité.

Dr Pierre Foldes

Le médecin s’aperçoit alors que la chirurgie réparatrice est insuffisante. «Quand je l’ai découvert, ça a changé ma pratique. Avant, je faisais mon opération tout seul dans mon coin. Mais l’excision, c’est un traumatisme global: la victime est atteinte dans son être, dans sa personnalité, dans son identité. Il faut écouter ces femmes, prendre la mesure de tous les traumatismes qu’elles ont subis. La chirurgie prend place dans une démarche beaucoup plus complète». Avec Frédérique Martz, il a fondé Women Safe en 2014, la première association française qui prend en charge les femmes victimes de violences. Les patientes y rencontrent gratuitement des chirurgiens, mais aussi des psychologues, des sexologues et des avocats. Depuis son ouverture en 2014, 6000 femmes excisées ont été opérées, soit environ 50 par mois.