Afrique : Le temps du consommer local ?

Il n’est pas possible pour un pays de se développer correctement si tout ce qu’il consomme est produit ailleurs. Les Africains mangent comme tout le monde, mais ce qu’ils mangent n’est pas nécessairement bon pour eux. Le pain à la confiture et au beurre est en passe de prendre le pas au petit déjeuner sur la bouillie traditionnelle. Des études montrent qu’au cours des 50 dernières années les Africains ont radicalement changé leur régime alimentaire et consomment de plus en plus les mêmes aliments que le monde industrialisé. Dans au moins 18 pays africains, les gens ont modifié à plus de 25%la composition de leur assiette. Consommer local fera plus pour chaque pays que tous les milliards d’aide reçus de l’étranger, car cela permet de soutenir tous les travailleurs locaux et de les garder motivés.


La transformation des produits agroalimentaires est incontournable si nous voulons maîtriser la sécurité alimentaire dans nos pays. Si nous ne faisons rien pour transformer à grande échelle nos produits locaux, nous mangerons peut-être, probablement chinois ou indiens.

La conjoncture, l’urbanisation rapide, la mondialisation sont des facteurs qui ont influencés les habitudes alimentaires de la majorité des africains. Par exemple, à l’heure actuelle, plus de40% de la population du continent vivent en zones urbaines. La population urbaine croît à un rythme supérieur de plus de deux fois à la moyenne mondiale. La classe moyenne se développe également ; elle a triplé au cours des trois dernières décennies. Son pouvoir d’achat, le changement de son style de vie et ses tendances de consommation jouent un grand rôle dans le type de nourritures qui se trouve sur la table. Ce nouveau modèle de consommation se caractérise en grande partie par de la nourriture emballée, rapide, importée et transformée.

Les sociétés transnationales agro-alimentaires comme Nestlé et Kraft ont perçu très tôt les avantages économiques qu’ils pouvaient tirer de leurs activités dans les pays peuplés d’Afrique et en offrant des services à une classe moyenne en essor et prête à dépenser. Lorsque les supermarchés commencent à pousser un peu partout, offrant des aliments transformés et à la portée de tous sur leurs étagères, certains assurant même un service de 24/24, le message était clair.

Tant que la population de l’Afrique continue de croître et la pression alimentaire d’augmenter encore plus, il n’y a pas d’autre choix que de trouver de nouveaux substituts et de diversifier les sources d’alimentation. Qu’y a-t-il de plus facile en ce cas que d’aller vers l’alimentation locale? Revenir aux divers régimes alimentaires traditionnels aiderait à lutter contre de nombreuses maladies et l’insécurité alimentaire.


INVERSER LA TENDANCE

S’agissant de la sécurité alimentaire, l’Afrique abrite plus de 874 millions d’hectares de terres propices à la production agricole. Avec moins de 10% des terres arables actuellement utilisées pour la production alimentaire, des possibilités existent d’étendre ces superficies pour augmenter la production locale. Seulement 6% des terres arables en Afrique sont irriguées, pour autant, le continent peut irriguer près de 40 millions d’hectares (10%) et stimuler la production agricole de 50%.

Un si immense potentiel agricole inexploité peut tout changer. Il est vrai qu’il reste aux pays africains d’importants progrès à faire pour ajouter de la valeur aux produits agricoles primaires. Les pays du continent représentent ensemble moins de 10% de la création de valeur ajoutée à l’échelle mondiale et le rapport coût des échanges / production est de 12% pour l’Afrique, contre 4% pour l’Europe occidentale, ou 7% pour l’Amérique latine.

Grâce à des investissements et des partenariats public-privé adéquats en matière de recherche-développement, la diversité génétique et la qualité nutritionnelle des cultures locales peuvent être assurée.


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Augmenter la production d’aliments locaux pourrait permettre de réduire les coûts. Davantage de pays devraient peut-être tirer les leçons de la politique nigériane d’intégration du manioc, qui favorise la farine à pain composite constituée de la farine de manioc et celle de blé et permettant de produire du pain plus sain. Cette politique s’est traduite par la réduction des importations de blé en introduisant la farine de manioc. La production et la transformation du manioc national ont été stimulées et des emplois créés.

De futures politiques alimentaires ne seront efficaces que si elles sont élaborées de concert avec les secteurs agricole et de santé et qu’elles intègrent les apports de ces secteurs.

Des campagnes de sensibilisations dynamiques doivent être menées en faveur de régimes alimentaires plus sains. On peut à cet égard s’inspirer de la Corée du Sud, qui, il y a vingt ans, avait organisé une grande campagne d’éducation du public destinée à réduire les taux d’obésité, en favorisant l’alimentation traditionnelle pauvre en sel, en graisses et en huiles et riche en légumes.


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